PAM PAM PAM PAM PAM

Le boucan allait réveiller tout le quartier ! Mais elle s'en fichait, elle n'était plus dans son état normal, elle ne réfléchissait plus rationnellement. Elle avait l'impression d'avoir perdu la raison à vrai dire. Tout tournoyait dans sa tête, mais elle avait une seule obsession parmi ce chaos de pensées.

En temps normal, elle aurait pensé aux Capes Blanches qui circulaient la nuit, mais également la Garde, sans parler de tous les malfrats qui pouvaient lui tomber dessus. Mais cette nuit, la panique avait raison d'elle.

PAM PAM PAM PAM PAM

Allait-il se réveiller ? Il dormait à l'étage de sa boutique, elle le savait. Elle perçut des exclamations de colère dans la nuit, surement jetées des fenêtres proches. Elle n'en avait rien à faire, il fallait que quelqu'un l'aide. Elle en avait besoin.

Ses mains tremblaient beaucoup, beaucoup trop par rapport à l'ordinaire. Sa peau la brulait, elle arracha violemment ses gants avec un cri de douleur. Les croutes qui s'étaient formées tout ce temps qu'elle les avait gardé s'arrachèrent. Elle avait les mains et les avant-bras en sang.

La rue était sombre, il était très tard dans la nuit. La ville dormait, mais elle ne pouvait pas se reposer. Elle était fatiguée, épuisée de se battre. Pourquoi l'alchimiste ne répondait pas ?

Elle se mit dos à la porte de la boutique alors que le tournis la prenait. Doucement, elle glissa le long de la porte et se recroquevilla, la tête dans les bras.

Des larmes de souffrance, de désespoir, de fatigue coulaient le long de ses joues. Elles creusaient de petits ruisseaux sur son visage poudré.

Nana reniflait bruyamment pour dégager son nez, faisant de petits bruits de sanglots. On aurait dit une fillette au désarroi, comme abandonnée par ses parents. Seule et perdue.

La réalité était autre. Elle avait le vertige, même les yeux fermés elle se sentait tanguer. Elle tremblait de faiblesse, en des spasmes violents qui saccadaient ses pleurs.
Puis, alors qu'elle était prise dans ses tourments, hors du temps et de l'espace, elle entendit des bruits d'armure et de pas en rythme. Et une flamme au loin se refléta sur le carreau d'une habitation.

Elle releva la tête, trop rapidement. Elle s'appuya contre la porte pour se relever, tout en se tenant la tête d'un coté. Alors qu'elle était débout, un objet chatouilla son angle de vue en hauteur. Un sceau. C'était un sceau accroché à une corde que quelqu'un faisait descendre du dernier étage de la boutique.

Il tomba sur le sol en un vacarme assourdissant dans la rue si calme et déversa son contenu. Nana resta perplexe : une peluche, des peaux d'orange et un onguent ?!
Elle essuya ses yeux, laissant des traces de sangs sur son visage. Les enfants des ce satané alchimiste se jouaient-ils d'elle ? Elle eut envie de les invectiver, mais le bruit se rapprochait.
Alors qu'elle se penchait pour ramasser les objets, elle rendit de la bile. Elle n'avait rien mangé dans la soirée. Le nounours et l'onguent n'étaient pas tachés, elle les attrapa.

La panique la prit de plus belle. C'était surement une patrouille de Capes Blanches, et elle savait très bien ce qu'une femme sans défense subiraient entre leurs mains. Avec un cri guerrier et désespéré, elle balança un coup de pied au niveau de la serrure de la porte. Et miraculeusement, le système céda !

Elle se précipita dans la pièce sombre et referma bruyamment derrière elle. Le souffle court, elle s'adossa à la porte. Après une petite pause, elle entreprit de vider l'onguent. Une fraiche odeur de vanille s'en dégagea. Ce n'était pas ce qu'elle recherchait.

- Il y a quelqu'un ?

Sa voix se cassa.
Elle s'avança vers les étagères de fioles et mixtures et se mit à fouiller frénétiquement.

Une fiole avec de la poudre pourpre, ou alors un pot avec une mixture orangée. C'était tout ce qu'elle demandait, rien d'autre ! Ca ne devait pas être si difficile à trouver !

Avec la panique, sa vue était floue. A cause de sa crise, ses mains tremblaient fébrilement au point qu'elle semblait ne plus les contrôler. Elle jetait des mixtures qui auraient pu être ce qu'elle cherchait et s'attardait sur des pots qui n'avaient rien à voir.

Elle se jeta sur le sol avec un ''NOOOON'' digne du moment le plus tragique d'une pièce de théâtre dramatique. Se précipitant, elle essaya de prendre dans ses mains la poudre rouge qui s'était étalée au sol. Elle y fourra son nez, mais l'odeur ne correspondait pas.

Tout cet instant de panique s'arrêta subitement lorsqu'elle releva la tête, barbouillée de rouge. Un homme? était descendu de l'escalier et se précipitait sur la porte qu'elle avait laissé ouverte. Le temps qu'il la referme, elle avait aperçu des hommes armés l'observer. Ils ne le voyaient surement pas dans le sombre de la pièce mais ils semblaient intrigués.

Cependant, ce ne sont pas les hommes dans la rue qui réveilla Nana mais bien la personne qui venait d'entrer dans la pièce. A cause du noir, elle voyait très mal sa tête, mais il semblait enrubanné dans tes tas de tissus colorés. Une chose était sur, ce n'était pas l'alchimiste qu'elle connaissait, la corpulence n'allait pas.

S'était-elle trompé de boutique ?
Tout s'éclaircissait dans sa tête... voila pourquoi il ne répondait pas ! Voila pourquoi elle s'était perdue dans le dédale des rues avant d'arriver ici ! Son état lui avait complètement retourné la tête.

Elle regarda ses mains tachées de poudre, elle était pourtant chez un alchimiste.

Elle supplia l'alchimiste du regard :
- Je fais une crise, donnez moi le remède !

Puis on frappa à la porte. ''Ouvrez, la Garde l'ordonne !''

La panique la reprit. Avec un hoquet de peur, elle retourna à ses potions. Attrapa un baluchon qu'elle n'avait pas remarqué auparavant et y fourra tout se qui lui tombait sous la main.

''Un dernier avertissement avant qu'on enfonce la porte !''

Sans demander son reste, elle courut à l'étage avec son sac cliquetant. Elle ne distinguait rien dans la pénombre. Seul un lit trônait au centre de la pièce. Sans réfléchir, elle se précipita en dessous.

Le démon se sentait un peu impuissant face à cette femme hystérique. Il l'observait bêtement dépenser une énergie folle vainement, car elle ne semblait pas trouver son bonheur dans les potions de l'alchimiste. Il aurait surement pu l'aider, lui, la vilaine gargouille inhumaine. Lire un grimoire et faire mitonner des choses infâmes au fond d'un creuset, il savait faire.

Mais, alors qu'il réfléchissait silencieusement à tout ceci, la garde s'impatientait. La patrouille souhaitait entrer dans la maison et ils découvriraient tout. La femme, le cadavre, l'ours miteux -le trésor- et Ol'kafranne serai enchainé et torturé, si c'était possible, et la dame, bafouée.

Jetant un coup d'oeil rapide autour de lui, il s'aperçut que Nana avait filé au premier. Au sol régnait un indicible foutoir que même le fameux génie au crâne rasé ne pourrait ranger en un clin d'oeil. Il alluma en hâte une lampe à huile pour ne pas sembler suspect aux yeux de la garde, et déposa quelques objets sur la table.

Un creuset sur un petit trépied, un chat empaillé, quelques pots métalliques, une cuillère en verre, un livre de cuisine -que faisait-il ici?- et une fiole contenant un liquide délicatement parfumé, un bougie.

* Un vrai bric-à-brac d'alchimiste. *

Il alluma la bougie sous le creuset, et versa le liquide odorant à l'intérieur, en espérant que les vapeurs n'aient pas d'effets nocifs. Puis, la statue se dirigea vers la porte, le chat empaillé dans les bras.

* Malsain... *

Oui malsain, c'était le maitre-mot de l'entrevue.
La porte s'ouvrit.


Le chef de l'escouade fit une grimace de dégout en apercevant les mains de l'alchimiste maniaque câliner le chat mort. Le taxidermiste n'avait même pas pris le soin de remplacer les yeux par des billes de verre, laissant à la place de ceux-ci deux trous béant, gouffres d'horreurs.
Les gardes bousculèrent Ol'kafranne pour entrer vérifier la présence de la femme. Ils pensaient surement qu'un petit troussage nocturne leur ferait du bien.
Un des trois hommes qui avait encore de l'appétit décida de sa couper un morceau de jambon sec, il en proposa aux autres. Le démon songea que c'était très malpoli, et décida d'intervenir. Ils n'allaient tout de même pas voler le vieil alchimiste! Il était mort certes, mais c'était SA nourriture.
Balançant le chat à travers la pièce, il poussa un feulement surnaturel.

- " Miaaaaaou! " imita la statue. Son cri était purement immonde, et le garde esquiva de justesse le chat poussiéreux, lâchant son couteau.
- "Le jambon...du...chat." Les gardes restèrent pétrifiés de peur. Le chat mort mangeait-il encore? Cet alchimiste était un vrai détraqué à n'en pas douter.
Le simulacre s'assit devant son livre de cuisine, et fit semblant un instant de potasser une recette de potion magique. Il espérait que ces Capes blanches ne soient pas trop curieux. Malgré tout, le chef prit la voix la plus rassurée qu'il pu et demanda de visiter la maison.

En montant les escaliers, le démon expliqua qu'il était l'apprenti du maitre, et que celui-ci dormait, qu'il ne fallait pas le réveiller et qu'il n'y avait pas plus de femme ici que d'eau dans le désert. Il entr'ouvrit la porte de la chambre et éclaira celle-ci du halo de sa lampe à huile. Pas de doute, l'apprenti disait vrai, le vieux dormait. Comment aurait-il pu dormir comme un bébé si la cinglée était entrée ici?
C'est la remarque que fit le garde, avant d'ordonner le repli à ses subalternes. Aucun d'eux ne semblait vouloir s'éterniser en compagnie de cet être étrange et terrifiant, et la moindre excuse fut bonne pour partir.
Ils firent quand même le tour du grenier pour avoir bonne conscience.

Quand il referma la porte sur eux, le démon soupira de soulagement.

* Aller *

Ol'kafranne alla replacer le chat empaillé de façon décente, et s'excusa auprès de celui-ci pour le traitement infligé. Il devait maintenant se focaliser sur la femme, elle était surement dans la chambre ou dans un placard. Il monta une fois de plus à l'étage, avec sa lampe, et sentit la présence de Nana. Comme une enfant, le dessous du lit lui servait de cachette. Avait-elle trouvé son fameux produit sous le matelas douillé de l'alchimiste, ou son état de manque et son hystérie allaient ressortir d'une minute à l'autre?
Il déposa alors sur le sol un grimoire volé dans le grenier de la maison. Un sommaire gribouillé à la hâte par un vieillard arthritique encombrait la première page, et le démon espéra qu'elle saurait reconnaitre la potion dont elle avait besoin.

Nana entendit toutes sortes de choses. Il semblait que le gardes étaient entrés. Un horrible feulement résonna dans la boutique... d'ou pouvait bien venir ce chat ? Sans doute un chat pourri vu le cri qu'il poussait ! C'était étrange car elle n'avait pas entendu l'alchimiste parler, seulement les gardes.
Puis elle eut la peur de sa vie alors qu'elle les entendait monter les marches. Elle serrait les potions contre son coeur, tétanisée.

L'alchimiste, ce bâtard l'avait vendue ! Elle n'osait imaginer les sévices qu'elle allait endurer dans les mains des hommes de Kaull... Elle cru qu'elle allait s'évanouir dans sa cachette. Mais par miracle tout le petit monde s'en alla et la laissa en paix.

Une fois la menace partie, un halo de lumière signala la venue de l'alchimiste... ce bienfaiteur qui l'avait sauvée ! Elle resta un moment apeurée sous le lit puis sortit de sa cachette en remarquant le grimoire qu'avait apporter son sauveur.

La droguée était dans un tel état de stress qu'elle en devenait a fleur de peau et désinhibée : une fois debout, elle se jeta dans les bras de l'alchimiste, pleurant à chaudes larmes.

- ''Mon dieu merci ! Mon héros vous m'avez sauvée ! Merci, merci, merci... bouhouhou...''

Il avait amené le livre, il allait lui préparer sa potion, elle était sauve !

L'étreinte avec son héros ne lui donna pas l'impression à laquelle elle s'attendait. Plutot que de se sentir réconfortée contre le corps de ''l'alchimiste'', elle eut un frisson dans le dos. L'homme était froid, dur... et si chétif ! Elle pouvait le sentir malgré ses vêtements. Les bras qui l'entourèrent n'étaient assurément pas faits de chair. Et pourtant, elle était tellement désespérée et fragile qu'elle n'essaya pas de se retirer.

Elle aperçut quelque chose d'étrange qui avait pointé à travers les étoffes pendant une seconde. La créature s'empressa de le ranger. Mais il y a des choses que le cerveaux décide de ne pas voir, même si c'est devant son nez. Bien sur, Nana vit toutes ces étrangetés, mais aucune conclusion ne lui vint en tête. Elle les mit simplement de coté, s'empêchant inconsciemment d'y réfléchir. S'en était surement trop pour la pauvre prostituée. Tous ces évènements déstabilisants, et son état de manque grave. Elle aurait sans doute sombrer dans la folie si son inconscient ne l'avait pas protégé.

Mais une certitude était en elle, l'alchimiste n'était pas un homme. Et surement pas un alchimiste non plus. Mais il allait l'aider, c'était le plus important.

Elle regarda le symbole qu'il dessina et comprit ce qu'il voulait dire. Il était temps de se mettre au travail. La créature ne parlait pas, maintenant elle avait comprit qu'elle ne le pouvait sans doute pas. La lumière de l'allumette éclaira la pièce, et le regard de Nana ne fit que passer sur l'étranger. Elle prit son sac de potion -difficilement à cause des ses tremblements- qui était à ses pieds et commença à monter au grenier, la où tout le matériel nécessaire était.

- Venez, venez me préparer mon remède.

Un sincère espoir émanait de sa voix, en même temps qu'une note de fatigue. Elle avait un mal de tête insupportable désormais, ce qui n'arrangeait pas ses vertiges. Elle dut se tenir à la frêle rambarde pour ne pas tomber des escaliers. Arrivée devant la table de préparation, elle posa lourdement son sac de trésors et s'empressa de regagner un chaise avant que ses jambes ne s’effondrent sous elle.

Nana, toujours installée sur sa chaise, regardait la créature travailler. A vrai dire, elle semblait hésitante, et prenait les ingrédients au hasard. Malgré tout, elle restait calme. Mais Nana perdait confiance au fur et à mesure que l'odeur émanant du creuset se faisait de plus ne plus immonde. Elle observait les objets disséminés dans la pièce, prise de soubresauts, au cas où elle en aurait reconnu un. Mais rien. Elle plissa les yeux, elle voyait de plus en plus flou.

La catin prit la tasse et regarda son contenu avec suspicion. Et pourtant, ça sentait bon ! Mais son mal de tête ne s'améliorait pas, même avec l'agréable odeur. Perdue et désespérée, elle ne posa pas de questions, faisant confiance à celui qui essayait de l'aider. Elle ingurgita d'un trait l'infusion mais sa main renversa la tasse, qui s'écrasa sur le sol. La femme ne réagit pas, comme lasse. Le devant de sa robe était désormais trempé mais elle ne semblait pas s'en rendre compte.

Rien, aucun effet. Malgré son odeur, la boisson était fade au gout. La pièce était sombre... tellement sombre. Nana ne distinguait plus le faux alchimiste que par les mouvements qu'il faisait. Elle commença à sentir des picotits au bout de ses doigts. Un gout de cendre apparut sur sa langue. Elle voulut lever son bras pour le regarder mais impossible.

Sans un mot, la jeune femme bascula en arrière et tomba du haut de son tabouret, inconsciente. Au moins, son calvaire était fini, pour un temps.