Longtemps. Longtemps, dans des temps troublés et dangereux. Longtemps est la seule date que l’on peut donner à cette histoire. Peut être trouverez vous une moralité à celle-ci mais je ne vous la donnerai pas car ce seraient des mots bien superflus. Je vais vous la conter sans ajout, sans censure. Je vais vous la conter comme je l’ai lue, alors que je me baladais ici même, entre les vieux parchemins. On dit souvent que l’on ne comprend que ce qui nous est utile, j’espère pour vous que vous tirerez quelque chose de mes palabres hésitantes…

Il était presque tôt, ce jour là. Travien était déjà debout –ou pas encore couché. Il était debout et réfléchissait. Sa tête bouillonnait et il était là, devant sa bougie qui lentement se consumait. Dans sa lueur chaude, elle éclairait un petit bureau miteux où des papiers s’entassaient. Des papiers froissés, esquisses avortées d’une volonté toujours plus forte. La plume à la main, c’était l’un des seuls à ne pas dormir. Il essaya une nouvelle fois mais ses mains ne donnèrent naissance qu’à une tache noire sur le papier jauni. C’était un domestique, un pauvre, un paria. Il vivait dans une chambrée, pas plus grande qu’un box de l’écurie. De la paille comme lit et juste ce petit bureau moisi et grinçant. Il n’en pouvait plus quand enfin l’aurore se leva. Il la contemplait toujours, en silence. Il devrait bientôt rejoindre les appartements de ses Maitres, riches et avares. Dans un génie inspiré, insufflé par les rayons timides, il commença à composer dans sa plus belle calligraphie.

« Madame,
Votre regard aux couleurs de l’Aurore est un bûcher, un brasier sur lequel il me plairait de m’immoler pour l’éternité. Son étincelle est la seule qui puisse allumer la flamme de mon amour. »

A ces mots, de sa main tremblante, il ajouta un T, symbole de sa volonté de ne pas se faire découvrir. La peur, il est vrai, lui rongeait les entrailles. La peur incontrôlée. Il noua avec un brin de paille sa déclaration et se mit en route vers la belle demeure. Il se rendit en cuisine où le plateau était déjà prêt. Madame ne dormait que très rarement avec son mari, Monsieur. Elle se plaignait que celui-ci ronflait beaucoup trop fort, prenait beaucoup trop de place. Le cœur de notre jeune héros s’accéléra. Il déposa discrètement son rouleau, priant pour qu’elle ne soit pas avec lui. Il le savait : cet amour secret et impossible ne lui apporterait rien de bon. Mais l’insouciante jeunesse lui dictait ses pulsions et l’autre nuit, son insomnie n’avait abouti qu’à une seule réflexion, dire ou ne pas dire. Fort heureusement, la servante de Madame lui indiqua la chambre spacieuse qu’elle occupait seule. Il lui tendit le plateau et s’en retourna aux cuisines, les joues en feu.

Madame se réveilla aux cui-cui des oiseaux qu’elle trouvait insupportable. La voix claironnante de sa servante s’était tu lorsqu’elle avait prit soin de lui faire couper la langue. Elle ne supportait rien, rien de ce qu’elle avait. Tremblante, la Servante s’approcha et déposa le plateau garni de mets goûteux sur ses genoux. Elle eut droit à des remontrances injustifiées la Pauvrette mais elle avait l’habitude. Ainsi allait la vie avec Madame. La Grosse Dame mangea à sa faim, plus que tous ses suivants ne pourraient engloutir au petit matin. Rapidement, elle fit le tour de ses activités de la journée qui consistaient à trouver les fautes de ses domestiques pour les punir après. Elle devait souper avec Monsieur aussi, bien que cela ne fut qu’un détail. Après tout, elle ne l’avait pas épousé pour sa compagnie ou son esprit mais bien pour le parti qu’il représentait. Alors qu’elle pensait à de nouvelles tortures, ses yeux se posèrent sur le bout de papier entouré d’une brindille. De ses doigts graisseux elle le saisit et l’ouvrit. La jolie calligraphie ne la marqua pas plus que les mots formés.

Madame, derrière ses apparences de Grosse Dame était quelqu’un de fort intelligent et de très calculateur. Personne n’avait accès à son plateau si ce n’est les cuisiniers et sa Servante, cette dernière mise hors jeu par son âge et sa folle envie de vivre. Il est vrai que dans ces temps là, il était très mal vu d’éprouver pour quelqu’un fait de la manière que soi-même. C’était donc un des cuisiniers. La Dame dans son machiavélisme, prit sa plume et dans un ennui et un soupir composa à son tour.

« Ô Admirateur,
Vous me flattez par des mots, et votre talent est grand. Vous n’avez d’égal que votre anonymat qui me chagrine. Je serais à vous disposée si vous vouliez bien me rencontrer. »

Elle signa et fit redescendre son plateau. Travien retrouva un beau papier sur celui-ci et comprit que son amour lui avait répondu. Le cœur en joie et l’âme légère, il le garda dans sa poche trouée jusqu’au soir, le lisant à la lumière de sa bougie à moitié fondue. Ravi et apeuré, il maintint le secret pendant deux mois d’échange épistolaire quand enfin, il se décida. Elle, reçut cette nouvelle avec un rire malsain et composa pour Monsieur son Mari.

« Monsieur,
Il y a longtemps que nous ne parlons plus. Ce soir, retrouvez moi, la lune parlera de nouveau comme lorsque vous avez prit ma main et ravi mon cœur »

Inutile de préciser qu’elle agença son plan à la perfection toute la journée durant pendant que Monsieur était content et impatient. Le Domestique, lui, suait, il avait peur que celle-ci refuse ses avances. Mais il n’y croyait pas vraiment, se disant qu’elle avait échangé avec lui tous les jours pendant de très longues semaines. Si Madame n’avait pas voulu de lui, pourquoi l’aurait-elle fait ? Naïf petit qui le soir, attendit dans le jardin de la demeure, à l’ombre d’un peuplier. La dame arriva et l’embrassa. Il serait aussi inutile que je précise ce qui s’en suivit jusqu’à ce que les pas de Monsieur se fassent entendre. Elle riait aux éclats et lui, haletant, lui souriait. Puis un coup d’épée et l’on eu tvu le corps inerte s’écraser sur Madame, qui riait plus fort encore. Monsieur, fou de rage s’approcha et menaça sa Dame, tremblant et pleurant. Celle-là lui cracha à la figure tout ce que quelqu’un de triste n’aurait pas à entendre.

Le jour suivant, la Dame en Noir pleurait son mari. Elle héritait de sa fortune et des condoléances des Autres mais elle, en son fort intérieur avait réussit. La femme avait bien manipulé et encore, le soir dans le jardin de la maison l’on entend son rire affreux et méprisable…

Si j'ai choisi cette histoire parmi tant d'autre c'est que de nos jours, nous avons tendances à mettre en avant ce qui est bien, mais n'oublions pas que personne n'est parfait et qu'il faut savoir se méfier parfois...

Camelle, votre chère et aimante prédécesseur.