De la pluie sur un jour grandiose (PV : Kara)

Le Carreau D’Argent ________________ ________________

Nuit ? Non. Jour. Oui, jour. Mais sombre jour. Jour sombre à cause de la pluie. Beaucoup de pluie, lâchée par les nuages. De grands nuages noirs. Un éclair. Le tonnerre. Bruit assourdissant vrillant les tympans de l'Elfe. Elfe qui, lui, était occupé à traquer. Un flux de magie constant nourrissait un vent qui balayait la région de plus en plus fort depuis peu. L'eau ruisselait sur la capuche de la houppelande noire enveloppant sa tête, son corps. Son bas déchiré faisait pitié à voir.

Il courait. Vite. Mais il ne faisait que courir, car voler, il ne savait pas. Il savait tomber plus lentement et éviter de se briser le cou. Mais voler, jamais. Et puis, assassin, mais pas voleur. Mais ça... rien à voir, n'est-ce pas ?

Traquer. Sans relâche, traquer. Une cible, une seule, mais mouvante. Quatre gardes du corps, compris. Le regard se tournait dans toutes les directions, tout le temps, pour apercevoir un garde. Pour en apprendre un peu plus. Pour glaner des informations sur le terrain. Un regard à droite, un grand arbre qui menace de tomber. Regard à gauche : un garde qui se cache. Tout droit : la cible qui s'embusque. Il était manifestement repéré.

Gwennaall s'arrêta à l'orée d'une clairière. Il se cacha derrière le plus gros arbre du coin, celui qu'il avait repéré. Sortant deux carreaux de son carquois, qu'il portait sur le dos, il les plaça correctement sur son arbalète, de façon à pouvoir tirer deux traits mortels de plus. Deux, ce soir, n'en réchapperaient pas, c'était certain. En tous les cas, Gwennaall en était certain : il abattrait au moins deux de ces hommes. Plus tard, il aurait sans doute plus à faire, mais ici et maintenant, ce seraient eux.

Sans pouvoirs, sans réelle arme pour combattre face à lui, trop bruyants pour ne pas être détectés, à l'odeur trop forte pour passer inaperçu vis-à-vis des animaux... Ces hommes étaient de loin trop faibles. Tous les moyens étaient bons pour repérer une cible. Et l'odeur en était un excellent exemple. Un homme en sueur pouvait empester plus qu'un loup mouillé. Si vous vous imaginez, déjà l'odeur, c'est pas mal... Eh bien quatre loups mouillés plus une cible qui sent la peur à plein nez, vous obtenez le cocktail exact de ce qu'il sent maintenant.

Pas à réfléchir, Oreilles Pointues s'élança. Bras levé, un peu sur la droite, un homme sortait sa tête de derrière un tronc, le carreau traversa la distance en moins d'une seconde, et alla se ficher sur son front, entre les deux sourcils. Un de moins. Et un de de plus à son palmarès. Peu importe qui il était : Gwennaall était là pour tuer, et il le ferait. Cinq personnes devraient mourir ce jour. Et elles mourraient. L'ordre importait très peu. Seulement... le contrat stipulait que la mort de l'un seul d'entre eux était nécessaire. Pas de tous. Les dommages collatéraux étaient cependant inévitables ici.

D'un pas lourd et décidé, son long manteau voletant derrière lui, il passa derrière le tronc d'où l'homme avait sorti sa tête, et où le cadavre gisait désormais. Il le retourna du pie dpour voir son visage : c'était un garde. Un simple homme avec une épée à la taille et des vêtements de mauvaise qualité. Du lin, pour la plupart de ses guêtres. Un homme qui n'aurait jamais dû mourir de cette façon. Les yeux du Carreau d'Argent se révulsèrent, alors qu'il pensait que, au contraire, ces morts étaient nécessaires pour garantir une certaine stabilité du Royaume, au bout du chemin. La rébellion avait raison : ils engendreraient moins de douleur et de malheur en renversant le pouvoir plutôt que de laisser un despote gouverner par la peur et la douleur pendant des années de trop. Déjà quatre années s'étaient écoulées avec cet homme au pouvoir. Quatre de trop, c'était son humble avis.

Sa cible détalait comme un lapin. Se cachant derrière tout ce qui pouvait la couvrir, une odeur de peur, de sueur et une autre se mêlaient. Une autre odeur que l'Elfe ne parvenait pas à identifier. Peu importait pour le moment. Son œil averti était assez vif pour apercevoir le moindre des mouvements. Dans un élan désespéré, un autre homme sortit d'un fourré et se mit à courir vers un amas de deux autres hommes, accroupis derrière un arbuste, qui avait l'air imperméable aux projectiles.

Ni une, ni deux. L'Elfe leva le bras droit, et décocha un trait. Non mortel, celui-ci. Il vint se ficher dans la hanche du malheureux, qui trébucha et tomba, dans un râle. Raté, cette-fois. Le pauvre homme rampa jusqu'à une immense racine qui pouvait le garder à l'abri quelque temps, puisqu'il était trop loin de ses deux amis -si c'en étaient- pour pouvoir ramper jusqu'à eux. Un juron étouffé s'échappa du bosquet.

Furieux d'avoir raté, il sortit de nouveau deux carreaux de son carquois, et ramassa celui sur le cadavre, par terre. Se retrouvant avec trois carreaux en main, il essuya celui plein de sang sur les habits en lin du malheureux à ses pieds, et le rangea dans son dos. Il plaça machinalement les deux carreaux sur son arbalète, alors qu'un râle émanait de la racine en face. S'élançant une seconde fois, il fit une roulade rapide devant lui, et réussit à se cacher derrière l'arbre immense possédant la racine. D'un coup, il utilisa rapidement son sort de coup de vent pour coucher les deux derrière le bosquet et les empêcher de lui faire du mal. D'un geste rapide il sortit sa dague, et la planta à l'aveugle dans un corps couché, la main sur la hanche. Cette fois, l'homme fut touché au dos. Un rapide coup d’œil lui apprit où était la gorge, qu'il trancha sans ménagement. Vif comme l'éclair, il arracha le carreau de la hanche, court de seulement une vingtaine de centimètres. Un jet de sang jaillit, en compagnie d'un dernier souffle.

L'Elfe fit volte-face, et réussit à se cacher derrière le tronc. Ils n'étaient plus que trois, et ils ne semblaient pas avoir de quoi le blesser. Il se demanda ce qui pourrait bien l'arrêter, cette fois. Rien n'était à sa hauteur, aujourd'hui. C'était loin d'être lassant, mais ça avait le mérite d'être facile. Bien que... cette fois... Il y avait une odeur parasite. Pas une odeur de sang, pas de sueur, pas de peur, pas de colère ni de haine. Un parfum, un parfum un peu plus corsé que d'habitude. D'ailleurs, il n'était pas désagréable, au fond... Mais ce n'était pas celui d'un des hommes. L'Elfe ferma les yeux... et se rendit compte que cette odeur qu'il ne connaissait pas s'amplifiait. Quelqu'un venait. Et de cela, il en était sûr et certain.

Mais qui ?...