Une rafale de vent envoya une gerbe de sable dans le visage de Bakhoum. Celui-ci remit tant bien que mal son foulard sur son nez. La mâtiné avait été longue et la nuit d’autant plus. Cela faisait 48 heures qu’il n’avait pas dormit, il avait passé la nuit à se terrer d’une bande de mercenaires qui en voulait à sa vie, et il n’était pas de taille à tous les affronter à découvert. Ces incapables avaient presque tué six personnes en pensant que c’était lui. Et six personnes blanches de peau encore. La faute à un tenancier de taverne qui avait jeté un contrat sur sa tête en pensant qu’il lui avait dérobé sa caisse. Rumeurs infondées donc, basées uniquement sur la couleur de sa peau. Peut être que Bakhoum n’aurait pas dû lui casser le nez lorsque le tenancier l’avait traité de démon nègre.

Bakhoum tourna au coin d’une mesa, sur un haut plateau, et aperçut le village qui se tenait à flanc de montagne. Le terme village ne seyait peut-être pas forcément au rassemblement des douze huttes en bois sordides, mais c’était le seul que l’esprit fatigué de Bakhoum trouvait adéquate, trouvait tout court d’ailleurs. Il s’approcha de la plus grande cahutte, dont la cheminée se résumait à quatre planches tenues par des cordages. Poussant péniblement les portes battantes de l’échoppe, Bakhoum retira le foulard de son nez et s’approcha du comptoir. Le marchand allai le salué lorsque le demi-démon, éreinté par la fatigue s’écroula contre le comptoir et glissa à terre. S’empressant de venir à son aide, le marchand lui demanda ce qu’il se passait, l’air plutôt inquiet.

- De ... l’eau ... et un ... lit. Et Bakhoum tomba dans les pommes.

Lorsqu’il se réveilla, il était allongé sur un lit de fortune. Quatre planches sur le sol recouvertes d’un matelas de paille, moins confortable qu’un matelas de plume, mais au vue de l’état de fatigue du traqueur, elles furent aussi bénéfiques qu’une journée dans des draps de soie. Bakhoum était allongé dans la pièce principale de l’échoppe. A première vue, c’était le centre du commerce du village. Le marchand refusa l’argent de Bakhoum et lui fournit même un repas gratuitement. C’était trop pour le remerciement de Bakhoum. Il grommela un merci et sortit de la boutique avec les bonnes grâces du marchand.

Même si ses pas l’avaient mené, semblait-il, de façon hasardeuse au col du Sable Déchiqueté, c’était bel et bien le but de Bakhoum dès son départ de Madorass. Il avait entendu parler de disparitions intempestives dans les mines prêt de la région de Sablelune. Le hic c’était que les disparitions avaient lieu dans des mines de façon aléatoire semblait-il. Pas pour Bakhoum. Après quelque renseignement, c’était un filon qui s’étendait sous des lieux et des lieux et plusieurs mines indépendantes avaient vus le jour des années auparavant. De là à en déduire qu’un réseau de grottes hantés par un démon s’étendait sous la région de Sablelune, et que celles-ci étaient reliées aux mines, il n’y avait qu’un pas ... que Bakhoum avait franchi avec professionnalisme.

Il se tenait donc désormais devant l’entrée de la mine du Sac d’Argent. Le propriétaire se tenait à côté de lui, une chemise sale rentrée dans un pantalon trop court, sa large bedaine dépassant de son pantalon en toile rèche.

- Bah j’sais pô c’que vous charchez dans ce c’truc mais, mais t’avis qu’vous trouv’reez qu’la mort l’dans ... Pour sur ...
- On verra.

Et il sauta dans la gueule noire de l’abîme.

Lorsqu’il reprit conscience, il était allongé sur le sol de la mine, le démon mort à ses côtés, la douleur terrible qui lui cisaillait les côtes lui appris non sans regret ce qu’il s’était passé : il s’était transformé.Il se traina vers la sortie de la grotte, espérant que le tenancier serait aussi affable que lors de sa première visite.

Quand des démons apparaissaient sur Feleth, la magie dégagée par leur passage à travers une faille était souvent le meilleur, sinon le seul moyen de les trouver. En effet, ces derniers étaient en mesure de s'incarner n'importe où. Magnus Vadas en avait même déjà vu un s'étant matérialisé dans un mur en bois ; le mur n'avait pas été fortement affecté, mais la majeure partie du démon avait implosé, rejetant de la chair et du sang à travers les veinures du bois. En l’occurrence, cependant, rien de tel ne s'était produit. L'engeance était venue loin sous le sol, mais au cœur d'un réseau de grottes et de mines. Elle ne risquait pas d'en sortir si vite, mais après un certain temps de non-intervention, Adiryl avait envoyé quelques soldats autonomes pour surveiller les accès aux souterrains. Magnus Vadas avait donc atteint une fissure verticale faisant très bien office d'entrée vers les profondeurs. Son but n'était pas seulement de surveiller le démon, mais aussi de s'en débarrasser une fois pour toutes.

Lorsque des bruits lourds et violents résonnèrent dans les murs jusqu'à Magnus, il s'élança dans la grotte. Les sons étaient assez proches pour pouvoir être localisés malgré l'écho ; aussi l'élu se dirigeai-t-il approximativement dans la bonne direction. Entendant un dernier hurlement, il vit le chemin s'ébouler devant lui ; à peine aperçut-il un grand humanoïde rouge flamboyant, presque lumineux, et possédant deux paires de bras. Cette image resta pourtant imprimée dans son esprit, à côté du mot "cible". Puis, les rochers finirent de lui barrer la route.

L'ange était entouré d'étais en bois ; il se trouvait donc dans une mine. Retrouvant la sortie telle qu'elle était indiquée par des panneaux rudimentaires, il déboucha vite sur l'extérieur. Assez loin, un homme bedonnant lui tournait le dos, accroupi dans la végétation rase. En faisant un léger effort de discrétion, l'élu s'extirpa de la mine sans se faire remarquer. Il reviendrait interroger cet individu sur le passage d'un quelconque monstre à quatre bras, mais plus tard, et en venant d'une direction moins suspecte que le puits d'excavation. Il lui fallait d'abord savoir si d'autres grottes proches pouvaient être reliées au réseau souterrain ; le temps pressait, le démon ne devait pas s'échapper. Pour obtenir des informations, Magnus rejoint le village débile, seule construction des alentours. La seule porte ouverte était celle de l'échoppe centrale. Ce bâtiment semblant être le seul à se démarquer des autres, c'était probablement le coeur de la vie des alentours. C'était donc là qu'avaient le plus de chance de se trouver les témoins. Le chevalier d'Adiryl entra dans la masure, faisant crisser quelques planches sous son poids.

Bakhoum vida sa pinte et la reposa sur le comptoir, enfin les deux planches posées sur des tréteaux, vite rejoint par une poignée de pièce. La bière était bonne, et Bakhoum, qui n’était pourtant pas un buveur invétéré, en aurait bien repris une autre si il n’avait pas été autant en manque d’argent. La liquidation de ce démon devait d’ailleurs lui rapporté une prime substantielle, en effet les problèmes de livraison des mines de Sable Lune provoquaient de graves pertes dans l’économie d’un riche orfèvre, qui avait contacté l’Alliance pour dépêché quelqu’un là bas.

Le marchand, qui répondait au nom de Yassim Talana, lui avait posé des questions sur son identité et au vue de l’aide qu’il lui avait fourni, Bakhoum avait accepté de lui dévoiler le but de sa présence dans leur visage : la chasse au démon. Contrairement à ce qu’il avait craint, le marchand l’avait plutôt pris du bon côté. En effet Bakhoum avait la dégaine d’un aventurier chevronné, donc potentiellement habile dans la chasse au démon, d’où potentiellement aisé niveau financier. Tout cela était bien pour plaire au marchand.

- Je suis descendu dans la mine hier, et je pense vous avoir débarrassé du démon.
- Vraiment ? Vous comptez-donc partir ?
- Le plus tôt possible.

A ce moment, les portes battantes de l’établissement grincèrent, laissant place à un genre d’armure sur pied. Complètement harnaché dans une armure de plates blanches éclatantes, l’apparence du personnage laissait peu de doute quand à son affiliation divine. Bakhoum jeta un œil expert aux personnages, repérant les défauts de l’armure, les plaques gênant ses mouvements, les potentielles armes. Il hocha imperceptiblement la tête, c’était une excellente armure, et le personnage à l’intérieur devait savoir s’en servir efficacement. La question qui demeurait était de savoir ce que l’étranger venait faire là.

En temps normal, Bakhoum n’aurait pas cherché à savoir ce qu’un étranger cherchait dans la vie. Mais la présence d’un chevalier, angélique qui plus semblait, en armure lourde, dans le désert, par une chaleur intensive, forçait l’admiration du guerrier. Surtout qu’elle portait de nombreuses marques de coups, prouant que son porteur avait largement bourlingué. C’est pour cela que, bravant sa timidité habituel, il se tourna vers l’homem désormais appuyé au comptoire et lui dit c’est quelques mots.

- Bakhoum N’Deye, chasseur de démon ... Qu’est-ce que vous faîtes là ?

Entre ça et sa discussion avec le marchand, il avait dépassé son quota habituel de mots échangés avec d’autres personnes vivantes. Il songea qu’il ne faudrait pas que cela de vienne non plus une habitude, si il parlait trop, il dirait des choses que les autres n’avaient certainement aucun besoin de savoir. Déjà il commençait à regretter son aveu fait à Yassim, mais il faut savoir répondre aux gens qui vous sauve la vie ... un peu de savoir vivre tout de même.

Les battants claquèrent, et un léger rayon de soleil se reflétant sur son armure accompagna l'entrée du chevalier. On se présenta à lui avant même qu'il atteigne le comptoir :

- Bakhoum N’Deye, chasseur de démon ... Qu’est-ce que vous faites là ?

Le casque de Magnus se tourna vers son interlocuteur, crissant désagréablement lorsque des garis de sable se rebellaient, juste avant qu'ils ne sautent à l'autre bout de la pièce.

- Je cherche...

Magnus Vadas marqua une pause, détaillant le visage devant lui. Sans prêter attention à la couleur de la peau, il voyait un guerrier, ses cicatrices, et ce qu'il semblait avoir d'étrange. L'homme mettait l'ange, non pas mal à l'aise, mais dans un état de méfiance.

- un démon, acheva-t-il.

La suspicion était de mise : qui savait ce dont étaient capables les créatures du Vein ?

L'armure sur pied n'avait pas l'air très engageante à première vue. Bakhoum n'était pas très familier des chasseurs de démons d'Adyril, il en avait croisé un ou deux au court de sa longue carrière de traqueur qui ne lui avaient pas fait une impression exceptionnelle, mais il avait appris à respecter leur travail et leur "foi". A vrai dire leur croisade ressemblait plus à une extermination. Leur pseudo "guerre" était très peu compréhensible pour un simple mortel. Il n'en restât pas moins que la réponse du guerrier mit Bakhoum sur ses gardes.

Quelle était la probabilité que deux traqueurs se retrouvent au même endroit au même moment pour chasser le même démon ? Certainement moindre que celle qu'on ait envoyé quelqu'un pour se débarrasser de Bakhoum. Car à vrai dire bien qu'il se considéra dans le camp des "gentils" (comprendre ici dans celui de ceux qui combattaient les démons) il avait fait presque autant de mal que de bien en ne maitrisant pas sa malédiction. Il était fort probable que quelqu'un quelque part eût été alerté.

Comment connaitre les motivations de l'autre sans l'alerter ? Imperceptiblement la main de Bakhoum glissa sur la poignée de son maptà et et ses yeux fixèrent plus intensément les mains du guerriers, guettant les éventuels prémisses d'une attaque prochaine. Les soldats d'Adyril pourtant n'étaient pas du genre vicieux ni sadiques, le code de l'honneur souvent, bien qu'ils disaient presque tous ne pas s'en préoccuper, conduisait inconsciemment leurs actes en une attaque franche mais appuyé.

Après quelque seconde de tension palpable, voyant que le coup tend redouté ne venait pas, Bakhoum s’apprêta à répondre lorsque, soudainement, son hôte n'ayant pas compris, certainement, l'intensité dramatique de la situation, s'élança au devant de son interlocuteur :

- Ne vous donnez pas cette peine noble étranger, ce monsieur s'en est déjà chargé ! Pas plus tard qu'hier même ! et encore il est arrivé il y a seulement deux jours !

Dans son esprit Bakhoum gifla le marchand.