Le regard que venait de lui lancer Astarès aurait dû lui glacer le sang. Les yeux fourbes de la guerrière brune révélaient quelque chose d'inhumain… un orangé qui lui rappelait l'enfer. Et cela n'avait rien de rassurant. Mais pour le moment, Astarès s'était tournée vers leurs assaillants et avait dégainée son épée. Une épée qui elle aussi étonna la séraphine, qui tenta de n'en rien laisser paraître. Pommeau organique, rappelant un dragon. Typique du Vein. Voilà donc à qui l'ange avait à faire. Elle ne connaissait pas encore la race à laquelle pouvait appartenir Astarès, mais elle espérait le découvrir très vite… même si elle craignait la réponse. Un démon ? Ou autre chose ? C'etait sûr, la guerrière n'était ni une humaine, ni un être issu de la magie blanche. Tout en elle était feu et haine, tout en elle respirait la cruauté… elle était la personnification parfaite du Vein.

Narydia fit donc mine de rien et ne répondit pas au regard arrogant d'Astarès. Celle-ci d'ailleurs ne tarda pas à crier sa joie de déchiqueter de la peau humaine. De la cruauté. Tout ce que détestait Narydia. Le sous-entendu de la guerrière ne plu pas à la jeune femme mais celle-ci ignora la remarque, se concentrant sur les hommes qui approchaient. L'ange ne se soucia aucunement de sa "compagne", sachant pertinemment qu'elle saurait s'en sortir d'elle-même. Elle ne l'avait jamais vu combattre, mais la fureur dans les yeux d'Astarès et son corps entier dégageaient une envie de faire couler le sang. Une envie qui donnait des hauts le coeur à Narydia, qui reçut le coup d'un homme contre son épée, grimaçante. Elle poussa sur le pommeau afin de dégager son emprise et l'homme recula. Lorsqu'il se jeta de nouveau sur elle, la jeune femme esquiva son attaque avec facilité et le saisit à la gorge. Sa main dégagea une chaleur subite, qui brûla en quelques secondes la peau de son adversaire sur toute sa largeur. Celui-ci hurla et recula, se tenant la gorge avec horreur.

— Si vous tenez à votre vie, vous feriez mieux de passer votre chemin, lança-t-elle à leurs agresseurs.

Cela était autant un avertissement qu'un précieux conseil vis à vis des propos qu'avait tenu Astarès quelques minutes plus tôt. S'ils souhaitaient garder leur peau sur les os, il était préférable de déguerpir… ce qu'ils ne comprirent visiblement pas. Aucun d'eux n'avait compris que la femme brune en face d'eux n'était que la personnification de l'enfer en personne et qu'elle n'aurait aucune pitié. Pire encore, elle allait les torturer et les détruire. C'était une promesse qu'elle pouvait lire dans les yeux orangés de la guerrière lorsque Narydia lui jetait un oeil.

Bornés, les hommes poursuivirent leur assault. L'ange tentait d'abréger leurs souffrances, se contenant de leur ôter la vie rapidement lorsque ne voyait aucune autre solution possible. L'un d'eux s'était approché d'elle par derrière mais malheureusement pour lui, l'ange l'avait aperçu et lui avait assené un coup de pied puissant dans le ventre. Lorsqu'elle eu retiré sa lame brûlante du coeur du bandit, Narydia se tourna vers Astarès.

— Astarès. Laisse les derniers déguerpir. Je crois qu'ils auront compris la leçon.

Devant elle, la scène se peignant dans un vrai carnage. Le sang jonchait le sol et l'herbe avait pris des teintes cramoisies. Quelques misérables hommes avaient reculés, hésitants et effrayés face à leurs adversaires. La séraphine détestait tuer.

— Enfin un peu de bonne conscience, murmura l'ange.

Elle jeta un regard vers Astarès. Celle-ci semblait bouillonner intérieurement, comme si le meurtre lui offrait une douche d'adrénaline. Au fur et à mesure des secondes, Narydia avait de moins en moins envie de la connaître. Elle espérait simplement que la guerrière épargne les dernières vies apeurées qui se tenaient devant elle, tremblantes et paralysées.

Astarès lançait à leurs adversaires des provocations à n'en plus finir. Elle avait soif de sang et tout en elle donnait cette impression. Cette impression qui dérangeait sérieusement la séraphine. Narydia ne savait pas si elle supporterait cette atmosphère et cette cruauté sanguinaire bien longtemps. La démone n'avait aucun scrupule, aucun état d'âme. Et elle venait clairement de leur faire comprendre qu'elle ne comptait pas les laisser s'en tirer vivants. Et le pire de tout cela, c'était qu'elle affichait un immense sourire… Tout cela par plaisir.

S'enchaîna une scène qui répugna la séraphine. Les cadavres des brigands tombèrent l'un après l'autre sans un bruit, dans un rythme presque parfait. Aussi silencieux que la mort. Alors voilà ce à quoi devait s'attendre Narydia durant leur voyage… une démonte qui tuerait n'importe quoi et n'importe qui s'opposerait à elle sur leur passage. Sa façon à elle de se débarrasser des obstacles, visiblement.

La séraphine préféra ne pas intervenir. De toute évidence et quoiqu'il arrive, les brigands en avaient vu trop pour s'enfuir… ils les auraient mis en péril s'ils avaient dévoilé quoique se soit sur leur cohabitation ou leurs pouvoirs. Un ange et un Seïrdan ne faisaient pas bon ménage ensemble, et si l'un de leurs deux partis l'apprenait, cela risquerait de poser des problèmes. Narydia fit donc finalement comme si de rien n'était et préféra oublier les hommes que les plaindre. Astarès avait grimpé sur son cheval et riait en s'adressant à l'ange. La séraphine chercha le sien des yeux. Avec la bataille, il avait complètement disparu. Tant pis, elle volerait. La jeune femme jeta un oeil à la démone et répondit froidement :

— Si tu crois que cela m'enchante… cela sera difficile de faire semblant mais puisqu'il le faut. Par contre, je n'assisterai pas toujours tranquillement à tes petites scènes de cruauté gratuites.

Narydia déploya ses ailes et s'éleva légèrement au dessus d'Astarès et de son cheval. Cela lui permettrait au moins de s'éloigner un peu de l'aura maléfique et au plus haut point désagréable de la Seïrdan, tout en lui permettant de garder un exil sur elle en restant hors de sa portée. Elle avait tout à y gagner. L'ange lança alors :

—Le petit tête-à-tête dont tu parles ne m'intéresse pas, je ne suis pas là pour chasser du démon. Pas aujourd'hui. Et je déteste les combats inutiles.

Elles se remirent en route doucement. La nuit était parfaitement tombée et Narydia volait donc assez bas pour rester dans le champ de vision de la Seïrdan et vice-versa. En forêt à cette heure de la nuit, ce n'était pas le moment de plaisanter même si la séraphine se serait bien passée de cette compagnie. Elle avait bien senti qu'Astarès cherchait le conflit depuis le début et ne cessait pas un seul instant ses provocations. Mais ce n'était pas pour autant qu'elle y céderait. Une idée lui trôtait en tête.

— Alors dis-moi maintenant, que cherche-tu vraiment dans cette quête ? N'y-a-til personne pour le compte de qui tu travailles ? Je sais que les démons dans ton genre aiment oeuvrer en solitaire mais tout de même… de ce que j'ai entendu, ils n'aiment pas s'aventurer hors du Vein sans véritable raison. Et ne crois pas que tes petites menaces vont m'effrayer, il m'en faut plus.

Astarès n'était pas le premier démon que la jeune femme croisait. Ni le dernier. Et leurs races respectives n'étaient pas un pretexte suffisant pour boucler leur aventure dans un bain de sang.

Voler dans la nuit noire avec un Seïrdan occupé à à dévisager, juste en dessous d'elle, avait quelque chose de peu rassurant… et même d'inquiétant. La jeune femme était tendue, aux aguets et prête à intervenir face au moindre geste suspect de la démone. Et ses mots étaient aussi tranchants que la lame organique qui lui servait d'épée. Clairement, Astarès lui faisait comprendre qu'elle avait envie d'en découdre avec elle. Pour satisfaire sa soif de combats ? De cruauté ? Narydia n'en savait rien, mais elle se doutait que la guerrière comptait arriver à des fins très peu légitimes au bout de ce combat.

Et Astarès lui annonça enfin ce dont se doutait la séraphine? Elle était bien au service du seigneur Arphoss et même si elle parlait de sa liberté, il n'en restait pas moins qu'elle oeuvrait pour les démons. Ce n'était qu'un prétexte. Quant à la mission de Narydia, qu'elle pensait dictée par l'empereur… c'était bien vrai, mais elle ne déplaisait pas à la séraphine. Au contraire. C'était l'occasion pour elle d'en apprendre davantage et elle n'allait pas s'en priver.

Quant aux remarques de la démone vis à vis des menaces que Narydia apprendrait, soit-disant, à apprécier voire même plus… la séraphine n'avait rien saisi et préféra l'ignorer. Que croyait Astarès ? Qu'elle allait finir par s'extasier devant le caractère noir et sauvage de cette Seïrdan au fur et à mesure ?

Narydia ne regardait plus la démone et pensait simplement à ce qu'elle disait. Il fallait tout de même rester prudente car elles n'étaient pas à l'abris d'une nouvelle attaque surprise ou d'une embuscade. Et Astarès semblait trop préoccupée par son discours que l'ange n'était pas sûre qu'elle soit parfaitement alerte. Pourtant, la concentration de la séraphine s'atténua un peu lorsque Astarès déclara qu'elle venaient du même monde. En effet, les séraphins provenaient tous du Vein. Cette remarque ne fit ni chaud ni froid à Narydia qui se reconcentra facilement. Si Astarès pensait qu'elle allait la déstabiliser si facilement… Narydia connaissait l'histoire de son peuple, et ce n'était pas une démone qui allait la lui apprendre. Elle répondit donc simplement, sans aucune émotion dans sa voix :

— En effet, mais les choses ont bien changé, tous comme nos objectifs et nos points de vue. C'est une question de discernement je suppose…

Elle se mit à sourire en pensant à cette petite pique qu'elle venait d'envoyer Astarès. Après tout, la démone ne s'en privait pas…

— Quant à ta notion de liberté, elle est juste différents de la mienne. Ma liberté se situe dans mes actions, ma façon de faire les choses et la possibilité que j'ai d'être un jour ici avec toi, et le lendemain ailleurs. Ta liberté n'est rien de plus que de pouvoir répondre oui ou non aux ordres de ton seigneur… Tu ne te laisse même pas le choix de préserver une vie ou non. Tu agis sans réfléchir. Là encore, ce sont des choses bien différentes.

Nouvelle pique, mais si Astarès pensait s'en tirer comme ça, c'était mal jouer.

— Je me moque que l'empereur ai tel caractère. Tout ce qui compte, ce sont ses actions. Voilà qui est amusant, tu parles comme un séraphin. Je pensais que tu préférais l'action aux paroles. Mais tu aimes provoquer, donc parler pour ne rien dire, finalement… surtout que cela ne marche pas avec moi, tu as du le remarquer.

Nouveau sourire. Narydia n'en avait vraiment pas fini avec elle. Rien en la Seïrdan ne lui faisait peur et elle ne comptait pas la laisser dire ce qu'elle voulait sans réagir. Elle rentrait dans son jeu et en avait conscience. Si elle lui répondait sur le même ton, c'était uniquement pour s'amuser un peu et connaître un peu plus le tempérament de la démone.

Astarès prenait bien des libertés de langage et de familiarité avec l'ange mais celle-ci en riait plus qu'autre chose. Que pensait la démone ? Que la séraphine n'était qu'une pauvre petite créature sans défense et sans expérience ? Une nouvelle liberté que prit la Seïrdan… grimper sur son cheval et attraper le pantalon de l'ange pour lui retirer brusquement. Narydia en fut plus surprise que choquée et lança un regard noir à Astarès. La mettre à demi-nu en pleine nuit, dans une fôret peut-être grouillante d'ennemis n'était pas le plus sage…

La démone avait placé le pantalon en cuir sur l'encolure du cheval et visiblement, elle ne comptait pas le rendre à la séraphine. C'était un bien curieux jeu auquel se livrait Astarès… était-ce seulement pour l'ennuyer ? Pour lui faire comprendre qu'elle était supérieure à la séraphine ? Ou bien pour la provoquer, encore une fois ? Narydia optait pour la dernière supposition. c'était décidément bien ancré dans le caractère de la démone. En jettant un oeil vers elle, elle constata que Astarès ne se retenait pas pour l'observer d'en bas… et donc avoir une vue directe sur ses dessous. Elle n'était franchement pas gênée. Mais si elle pensait que l'ange allait se vexer, c'était bien mal la connaître. Elle en avait vu d'autre et était loin d'être pudique. Elle s'en amusait et réfléchissait déjà à un moyen de faire payer à la démone son acte assez déplacé.

Et voilà que Astarès lui proposait de venir le récupérer… Narydia se mit à rire à voix haute. Elle n'était pas aussi stupide. Elle pouvait s'accommoder du vol sans son pantalon… Quant au froid, ce n'était franchement pas un problème au vu de sa température corporelle intense. Sauf en cas de froid extrême, la jeune femme pouvait compter sur son affinité avec le feu pour la réchauffer. Elle prit un moment pour observer la démone et penser à la façon dont elle pourrait lui rendre la pareille. L'équipement de la guerrière était plutôt intimidant et bien conçu… une parfaite machine à tuer, métallisée et dissimulant la moindre parcelle de peau de la Seïrdan. Impossible pour elle de détacher son armure. Il lui restait pourtant une solution… une solution qui risquait d'encore plus énerver la démone.

La séraphine s'approcha de la Seïrdan et se place à sa hauteur, faisant miner de vouloir discuter :

— Dis-moi, de quoi est faite cette belle armure… ? C'est un bouclier corporel qui ne laisse rien passer n'est-ce-pas ?

Puis elle dirigea sa main vers l'épaule de la démone, faisant mine d'examiner son armure. Et d'un mouvement rapide et sec, elle dirigea son autre main dans le dos d'Astarès pour tirer l'épée de son fourreau et s'en emparer. Dans le même temps, elle bondit en l'air, à une hauteur suffisante pour échapper à la portée de la Seïrdan. Satisfaite, elle examina l'épée de plus près. Une vraie lame à trancher des vies. faisant mine de jouer la surprise, elle s'exclama :

— Mais dis-donc, tu as une bien jolie épée dis moi ! Massive, tranchante, agile… bien affutée… tu dois bien t'amuser avec ça.

Et elle se mit à rire, faisant tournoyer la lame dans sa main.

— Alors, viens la chercher, "ma belle", il faudra passer par moi pour la récupérer, comme tu peux t'en douter !

Astarès voulait jouer ? Elles allaient jouer.

Alors que la séraphine examinait l'épée de plus près, Astarès lui apprit que l'arme était en réalité vivante. Narydia se demandait de quoi se composait vraiment cet équipement assez original… comment l'avait-elle obtenu, ou fabriqué ? et surtout, quels étaient ses matériaux réels ? Peut-être s'agissait il autrefois d'une créature… En observant cet attirail, la séraphine pensait à un dragon. Mais comment même une démone pouvait-elle se retrouver avec une peau de dragon sur elle ? Non, ce devait être chose…

Visiblement, Astarès n'avait pas l'intention de récupérer son arme pour le moment. L'épée comme ensorcelée semblait lui obéir au doigt et à l'oeil, d'après ce qu'elle disait, et dépendait de la guerrière. Narydia jeta un oeil surpris à l'arme lorsque celle-ci déploya des sortes de lianes qui s'enroulèrent autour de son bras. Une espèce de membrane faite d'écailles se posa sur sa peau et s'y ancra comme si il s'agissait de la propre peau de la séraphine. Un phénomène inquiétant puisque l'ange ne pouvait pas le contrôler, mais également une expérience intéressante. Elle tenta de bouger le bras, et contacta qu'elle le faisait sans problème. Elle avait seulement l'impressions d'avoir un second bras qui se prolongeait en épée. Quant à son " mauvais caractère " dont parlait Astarès, la séraphine se doutait qu'il s'agissait en réalité de celui de la démone, qui elle, lui avait déjà démontré très largement. Et puisque l'épée lui obéissait, tout était coordonné.

— De quoi est-elle faite et comment l'as tu obtenu ? demanda-t-elle.

Narydia se doutait de la réponse mais souhaitait en être sûre. Astarès était bien audacieuse et il était probable qu'elle ne souhaite pas lui répondre afin de préserver ses secrets. L'ange le comprendrait parfaitement et aurait fait de même… mais elle tentait tout de même, au cas où. De toute évidence, il était simple de constater qu'il s'agissait de la peau d'un reptile.

— Peau naturelle arrachée à l'animal ? Ou autre chose ? On dirait du dragon ou toute autre reptile d'assez grande envergure pour que tu ai pu prendre assez de peau pour t'en faire une armure complète. Et comment cela se fait-il qu'elle t'obéisse ?

L'autre question qui lui trottait dans la tête était comment la guerrière avait pu (si elle avait procédé ainsi) dépecer la créature mais récupérer sa peau bien vivante pour la soumettre à ses propres ordres. Double interrogation donc. Si l'équipement se comportait comme s'il était sur son porteur naturel et primitif, Astarès avait dû se débrouiller pour le soumettre… ceci intriguait véritablement la séraphine.

— Et si je fais ça… ?

Elle se demandait également comment pouvait réagir la "bête" à sa magie. Une magie blanche d'une part, et une magie également hostile à l'arme. Est-ce que Astarès allait le sentir ? Narydia resserra sa main sur le pommeau et concentra un peu de chaleur dans l'arme qui se mit à se réchauffer doucement. Pour le moment, il semblait que la lame ne la repoussait pas… mais jusqu'à quel point ? Elle jeta un oeil à la démone afin de voir son véritable lien avec l'épée... car Astarès avait parlé de contrôle sur la lame, mais ressentait-elle également ce contact d'une magie étrangère ?

Visiblement, la chaleur que Narydia faisait émaner de l'épée ne déplaisait pas à Astarès… et bien au contraire d'après son comportement, même si ça n'avait pas été le but de la jeune femme. Après cela, la démone la convia à la rejoindre pour lui montrer quelque chose. Narydia restait très méfiante. Peut-être voulait-elle simplement répondre à ses questions… mais la séraphine n'était jamais à l'abris d'un geste malintentionné de la Seïrdan. Et son épée en main, elle était encore plus vulnérable…

Pourtant, elle s'approcha de la démone pour voir ce qu'elle avait à lui montrer. Elle avait cessé son effet sur l'épée, satisfaite de voir que Astarès ressentait tout ce qu'elle pouvait faire à cette arme. Ainsi, elle comprenait un peu plus le lien entre la démone et son épée. Astarès avait fermé les yeux, comme si elle se concentrait. Narydia l'observait et constata que son armure, ou plutôt les écailles qui la constituaient, s'ouvrirent sur la longueur de son côté droit. Cela déconcerta encore plus la séraphine qui comprenait de moins en moins le fonctionnement de tout ceci… Les écailles avaient laissé apparaître la peau de la démone qui était recouverte par le dessin d'un dragon. Ce qu'elle voulait donc lui dire était que son armure et sa "magie" était créée grâce à ce tatouage ? Voilà qui n'était pas très explicite comme réponse… et cela l'intriguait davantage.

Après un moment qui parut bien court, Astarès referma les écailles sur sa peau. Elle avait bien répondu à la question de la séraphine à propos de son armure, mais qu'en était-il de l'épée ? Cela n'expliquait pas le contrôle qu'elle avait sur les objets liés à elle. Mais l'ange se doutait qu'elle aurait bien des difficultés à en apprendre plus. Elle pensait bien que la démone ne lui révèlerait pas ses faiblesses aussi facilement. Après tout, elles étaient autant alliées qu'ennemis… et toutes les deux savaient bien que leur cohabitation ne tenait qu'à un fil.

Avant qu'elle regagne un peu de hauteur, la démone lui tendit son pantalon que la séraphine revêtit rapidement. Les mots d'Astarès venaient de sérieusement l'intriguer. Elle en avait froncé les sourcils tant ces termes la surprenait et l'inquiétait presque. S'imprégner ? Que préparait-elle ? Et d'ailleurs, elle ne tarda pas à lui faire remarquer :

— De quoi donc parles-tu ?

La séraphine reporta son attention vers l'épée qui semblait se plaire à rester sur son bras… ou plutôt, qu'Astarès continuait à contrôler. Son test porté sur les sensations avait bien fonctionné, et l'ange savait désormais que ce qu'elle ferait à l'épée serait directement ressenti par la démone. Mais elle ne comptait pas tenter le diable pour le moment, l'heure n'était pas encore à la confrontation. Elle se contenta donc d'essayer de la manipuler.

— Etonnant que tu supportes ma proximité… nous sommes physiquement opposées et la magie qui réside dans chaque parcelle de ma peau ne devrait pas te plaire. Pire, je ne comprends pas pourquoi ton épée ne me repousse pas. Magies blanche et noire ne sont pas censées cohabiter aussi facilement… Ce n'est même pas désagréable.

Soudain, un bruit à proximité la sortit de son discours. Un bruit de bois raclant sur les pierre. Bientôt, une charrette ne tarda pas à apparaître entre les arbres, en face d'elles, et s'immobilisa. Voilà qui était bien gênant. L'homme qui la conduisait ne semblait qu'être un paysan de campagne. Mais deux autres hommes se redressèrent derrière lui, armés jusqu'aux dents. Ils ressemblaient à des gardes… mais Narydia n'ne avait aucune certitude. Ce qu'elle savait cependant, c'était qu'il s'agissait de témoins potentiellement dangereux, et qu'il faudrait les éliminer. L'un des gardes les regardait d'une drôle de façon, comme s'il n'en croyait pas ses yeux. Il avait l'air totalement désorienté tandis que l'autre s'était saisi de son épée, mais pas plus rassuré.

Narydia redescendit à hauteur convenable et se rapprocha d'Astarès pour lui chuchoter à propos de l'épée :

— Enlève moi cette chose, ce n'est pas le moment idéal pour les petites expériences.

Narydia ne voyait pas vraiment ce que la démone voulait dire par "quelque chose en elle à laquelle la lame pouvait se raccrocher". Voulait-elle dire qu'elle et l'ange étaient deux êtres semblables ? Certes, elles avaient les mêmes origines, mais leurs essences étaient différentes. Narydia avait prouvé au cours de ses siècles d'existence qu'elle était n'était qu'un concentré de magie blanche, la seule magie qu'elle pouvait exprimer volontairement. Que voulait dire Astarès ? Comme auparavant, elle restait évasive et laissait perdurer des doutes.

Mais le temps n'était plus aux réflexions puisqu'à présent, le chariot n'avait pas bougé d'un millimètre, pas plus que les témoins devant elles. Visiblement, la démone n'avait pas l'intention de lui retirer l'arme. Des "expériences" comme la démone disait… Cela ne la tentait pas. Surtout qu'elle ne connaissait pas la lame et ses réactions. De plus, elle ne voulait pas participer à une tuerie sanguinaire provoquée par Astarès si jamais celle-ci prenait le contrôle de l'épée. Et dans ce cas, l'ange subirait les gestes de la démone contre son gré, quitte à devenir aussi cruelle qu'elle-même.

– Evidemment, à "ma" façon… Tu la contrôle, je l'ai bien compris et je me doute que tu vas bien en profiter, murmura Narydia plus pour elle-même, même si Astarès l'avait entendue.

Les trois hommes en face d'elles les observait avec effroi. La séraphine n'avait aucune aucune envie de les tuer, et cette acte la répugnait au plus haut point. Elle avait deux options. Soit elle les tuait afin de préserver leur secret à toute les deux et donc leur survie. Et elle devenait ainsi exactement ce qu'Astarès voulait qu'elle soit : une femme aussi sanguinaire et cruelle qu'elle, sans état d'âme et prête aux pires sacrifices par simple égoïsme. Soit elle les épargnait, avec le risque que ces trois hommes communiquent sur sa relation avec la démone, ce qui les mettraient en danger toutes les deux. Même si la séraphine n'avait que faire de la vie de sa compagne… elle pouvait tout de même lui être utile pour cette quête. Aucune de ces solutions ne lui plaisait. Et à ce moment là, Narydia fut traversée par l'idée qu'après tous, son choix aurait du être vite fait : il y avait ici trois innocents, et une démone qui ne tarderait sans doute pas à lui arracher le coeur une fois leur mission terminée. Ou peut-être même dans une minute.

L'ange jeta un oeil aux trois hommes qui semblaient retenir leur respiration. Il fallait qu'elle le fasse. Elle fronça les sourcils et se dirigea vers eux. Les deux gardes avaient relevé leurs épées, prêts à parer, et le vieux paysan s'était recroquevillé dans sa charrette, apeuré. Narydia tenait la lame à bout de bras — ou plutôt à la place de son bras — et elle sentait une sensation étrange interférer. Comme si son bras l'entraînait vers ces gardes, avec sa soif de faire couler le sang. La jeune femme ne fit aucun commentaire. A mi-chemin, la séraphine s'arrêta et fixa le sol. Ses traits s'étaient durçis tant elle était en proie au doute. Puis elle se retourna et contre toute attente, se jeta sur Astarès. La puissance exercée par ses ailes la fit basculer sur elle et Narydia plaça l'épée en travers de la gorge de la Seïrdan.

– Dis moi, dis moi juste la raison pour laquelle je devrais me charger de ça alors que j'ai l'être le plus infâme et le plus corrompu juste à côté de moi ? Les tuer eux ? Alors qu'il suffirait juste que je tue toi !

Sur ces mots, la séraphine assena un violent coup de genou dans le ventre de la démone, qui, elle le savait bien, être parfaitement équipée pour contrer ses attaques. Il était hors de question qu'elle sacrifie leurs vies. Narydia sentait la haine monter en elle tout comme ses effluves de magie qui bouillonnaient dans son corps. C'était un acte insensé, mais elle n'avait pas d'autre choix. Ou du moins, pas qui puisse la satisfaire.

Alors que la séraphine se tenait positionnée au dessus de la démone, après qu'elle se fut jetée sur elle, elle se rendit compte qu'Astarès souriait. Avoir besoin d'elle ? En quoi l'ange aurait-elle besoin d'un être aussi infâme que cette Seïrdan ? Elle pouvait tout aussi bien accomplir sa mission seule… Cela serait juste plus long, plus risqué, et plus difficile. Mais elle connaissait sûrement certains secrets… et c'était la seule raison pour laquelle elle acceptait de la garder en vie.

— Ne fais pas comme si tu étais capable de savoir ce que je veux ou non.

Sur ces mots, la Seïrdan enserra ses jambes autour d'elle afin de les rapprocher encore l'une de l'autre. La lame glissa le long du coup de la jeune femme qui serra les dents sans rien dire. Un seconde plus tard, la séraphine avait l'impression d'ettoufer, mais cela ne dura qu'un instant infime avant qu'Astarès rajoute qu'elles étaient ennemies. Ce dont Narydia avait parfaitement conscience. Elle n'ait d'ailleurs jamais vu les choses autrement. Le fait de se battre pour la même cause ne faisait pas d'elles des alliées. Sa menace se perdit bien loin de la jeune femme qui ne l'écoutait déjà plus.

Il lui arrivait ainsi d'avoir des "coups de sang", lorsqu'elle était provoquée et que son animosité grimpait. Mais cela n'avait pour autant pas été un acte irréfléchi. Astarès l'avait repoussé pour se lever et l'ange fit de même lorsque la démone l'attrapa brutalement par le bras. Enfin, l'épée se sépara de son bras et Narydia fut satisfaite de retrouver l'usage de son corps.

— Admirer quoi ? Tes élans de violence sanguinaire et sadique… ? répondit-elle doucement avec dédain.

Comme quelques heures plus tôt, la démone réitéra son "meurtre silencieux" et la tâche fut rapidement accomplie. Astarès n'avait strictement aucun état d'âme et elle était loin de faire les choses proprement. Elle aurait pu les tuer rapidement, d'un coup bien placé, mais elle préférait s'y reprendre à plusieurs reprises…

Quant à sa réplique, elle était parfaitement hypocrite. Narydia ne la regarda pas quand elle remonta sur son cheval et s'éleva elle-même de nouveau dans les airs afin de reprendre la route. Astarès s'autorisa une nouvelle remarque qui ne plu pas à la séraphine. Elle lui parlait de lâcheté mais Narydia ne percevait pas du tout les choses ainsi.

— Je préfère être lâche quand il s'agit de donner la mort plutôt que d'en saliver.

La jeune femme ne rajouta rien. Elle savait que la démone prenait du plaisir au meurtre et ne le comprenait pas. En attendant, elles avaient toutes les deux des façons différentes de procéder. Et si Narydia avait dû tuer ces deux hommes, elle l'aurait fait. Avec certainement moins de cruauté que la Seïrdan. Le temps passa et après plusieurs heures, le cheval de la démone commença à s'épuisa. Il ne souhaitait plus avancer et l'ange elle-même sentait ses ailes fléchir sous la fatigue. Elles décidèrent donc de s'arrêter pour se reposer. Heureusement, elle avaient atteint la lisière de la forêt et cette étape serait bientôt loin derrière elles.

Elles s'allongèrent respectivement dans un coin, et Narydia eu bien du mal à fermer l'oeil. Elle ne parvint d'ailleurs pas à dormir, seulement à somnoler. Leur campement était de fortune : elles avaient préféré ne pas allumer de feu afin de rester le plus discrètes possible. Alors que le soleil commençait à s'élever haut dans le ciel, les guerrières se remirent en route. Plusieurs jours passèrent. Ils furent monotones et dénués de toute surprise. Les deux femmes se contentèrent d'avancer, sans se narguer davantage et plus préoccupées à surveiller les environs qu'à se chercher mutuellement. Elles étaient arrivées dans de vastes plaines qui les laissaient parfaitement à découvert. Et à cause de cela, Narydia avait choisi de marcher à côté du cheval, préférant dissimuler ses ailes.

— Nous arriverons bientôt à Venill. Tu comptes arracher un bras à tous ceux que nous allons croiser ? Ou bien tu penses rester raisonable pour une fois… ? demanda Narydia avec un air de provocation peint sur les lèvres.

Astarès ne connaissait visiblement pas l'art de la discrétion et la séraphine ne souhaitait pas provoquer un champ de bataille dès qu'elles feraient un mètre en ville. Bientôt, elles arrivèrent devant les portes de Venill où une masse de garde se dressait. De ce qu'entendit la jeune femme, ils discutaient d'un convoi qui n'était pas arrivé à bon port. Narydia n'eu pas besoin de réfléchir à deux fois pour comprendre qu'ils se demandaient où était passée la charrette qu'elles avaient éliminé auparavant… Avec un peu de jugeote, ce n'était pas compliqué de traverser un barrage de gardes. Mis à part quand son complice était un être sanguinaire...