"Mavryl, je cherche quelque chose d'important. Un document qui doit être rangé dans la cellule réservée aux affaires politiques atachées au monde de Feleth."

"Vous voulez parler de la 742 ? elle est située au fond de la rangé C4, à droite. Mais c'est Tharmidore qui possède les clés de ce secteur et il ne vous ouvrira pas à moins d'un certificat signé par le département de la politique extérieure."

"Que de bureaucratie… je n'ai pas eu le temps de faire signer quoi que ce soit, et cette recherche est tout aussi importante, qu'urgente. Vous devez bien avoir un double quelque part."

Mavryl, un des artisans de ce lieu, restait perplexe lorsque le directeur délégué de la bibliothèque arriva.

"Astryl ?" Celui-ci ne l'avait pas vu venir mais il reconnu la voie singulière du directeur.
"Que me vaut l'honneur de recevoir un archimage ? Surtout de votre qualité."

Pour être exact, il faut préciser que les rapports entre les deux hommes étaient assez conflictuels depuis que Astryl lui avait exprimé son incompétence inégalée dans la gestion d'une institution aussi remarquable que la grande bibliothèque.

"Quelle chance vous avez Arch Panasdür, Monseigneur le directeur possède le double de toute les clés de la bibliothèque, et il va pouvoir vous ouvrir la cellule 742."

"Très intéressant. Alors vous vous intéressez au monde de Feleth, Astryl. Quel est donc votre nouveau projet ?"

Le directeur s'éloigna vers son bureau en réfléchissant.

"Je pense qu'il faudra vous tenir éloigné de cette cellule Astryl. Du moins tant que vous n'aurez pas d'autorisation, ce qui risque de prendre du temps."

En fait Astryl n'avait aucune chance d'obtenir cette autorisation. Le directeur le savait et il ne tarderai pas à prévenir ses supérieurs de la requête d'Astryl.
L'archimage alla s'assoir à une table pour trouver le calme nécessaire à une mise au point.

L'entrée de l'ange fut un peu brusque, et assez bruyante, comme d'habitude. A chaque fois qu'il venait, les bibliothécaires pestaient à l'idée du trouble qu'il allait apporter dans cet endroit de silence et de concentration. Se tenir en place était en effet une notion assez vague pour Querel, tout comme le respect de ses concitoyens. Ses pas lourds résonnaient sur le carrelage immaculé, il était pressé, impatient, marchant vite pour ne pas perdre de temps, bien que sa requête n'aie rien de spécialement important. Sans faire exprès, de temps à autres, une de ses ailes grises percutait une étagère, faisant ainsi tomber quelques vieux grimoires, vers lesquels il ne jetait pas même un coup d'œil. Une plaie, comme toujours. Il s'approcha d'un des archivistes, qui rangeait des parchemins dans une vieille boite en bois, et l'aborda d'une voix énervée :

- "Eh, je cherche un vieux bouquin de je-sais-plus-qui sur la magie de l'esprit. C'est où ?"

Le vieil homme répondit, embarrassé par l'impolitesse du capitaine :

- "Hm, bonjour monsieur. Les documents que vous cherchez sont libres d'accès à tout le monde et se trouvent donc dans la partie comm..."

- "La partie commune, ouais, vous me dites tous ça à chaque fois. Mais c'est le merdier, et c'est vachement grand."

Le coupa-t-il, toujours aussi inconvenant.

- "C'est très ordonné au contraire, il vous suffit de lire les écriteaux, regardez : 'magie', c'est donc par là que vous devez vous diriger. Allez y lancez-vous, vous verrez, ce n'est pas si difficile."

Agacé d'avoir été humilié par ce vieil oracle, les yeux de serpent de Querel semblèrent l'assassiner tant la haine les emplissait. Et sans un 'merci', sans rien, il se tourna et s'engagea dans le couloir que lui avait indiqué le brave homme, renversant une chaise au passage, pour signifier son mécontentement.

Arrivé dans ce compartiment, plusieurs bibliothèques s'offraient à lui, recouvrant tous les murs jusqu'à des hauteurs impressionnantes.

- "Putain... Et voilà je vais me galérer des heures à chercher à cause de cet imbécile."

Un vieil homme était assis à une table, non-loin du séraphin, il semblait désœuvré. Son visage lui semblait familier mais pas moyen d'y attacher un nom... Il s'enquit tout de même :

- "Dis-moi, tu ne saurais pas ou sont les livres sur la magie de l'esprit dans tout ce foutoir ?"

Vouvoyer les inconnus ? Un concept vague lui aussi.

"Les livres sur la magie de l'esprit ?"


"Je crois pouvoir vous renseigner. Peut-être connaissez-vous la cellule 742 ?"

La première phrase qui vint à l'esprit d'Astryl allait être lourde de conséquences. Son plan était maintenant clair et il ne pouvait plus l'arrêter.

"Malheureusement, cette zone de la bibliothèque est fermé au grand public. Seulement, je suis sûr que vous ne devez pas être de ce genre de personne qui se laisse priver par de simples interdictions. Je peux vous aider à trouver le livre que vous cherchez"

La réponse qui lui vint, de cet inconnu, qui d'ailleurs n'en était pas un, était frustrante... Et pour ainsi dire, franchement opposée à celle que lui avait formulé le bibliothécaire. Les yeux du séraphin firent un rond et retombèrent sur ce brave homme :

- "Dans la cellule 742 ? C'est quoi ça encore ? Saloperie d'archiviste à la con qui ne sait même plus où il range ses bouquins !"

Dans son vain élan de colère, Querel posa la main sur la table derrière laquelle se trouvait l'archimage et reprit :

- "Ouais, vu que t'as l'air de mieux t'y connaitre que ces abrutis, j'veux bien de ton aide, pourtant à chaque fois ils me rabâchent leur 'partie commune' par-ci, 'partie commune' par-là, mais jamais ils ne m'ont parlé d'une cellule fermée au public..."

L'ange n'avait absolument rien flairé au subterfuge d'Astryl, obsédé par l'affront qu'il avait subi juste auparavant, en voulant à la bibliothèque toute entière, et prenant tout ce qui allait dans le sens d'une erreur de leur part. Sa rage, son rang, et ses capacités d'intimidation le rendaient en effet largement apte à entrer dans cette cellule. Mais son manque de méfiance et son esprit borné allaient lui faire porter le chapeau de quelque chose qu'il n'aurait au fond même pas commis... Cependant ces choses étaient d'une telle futilité pour Querel, que même s'il en venait à découvrir le stratagème de l'archimage, il serait incapable de lui en vouloir. Il plaiderait contre les politiciens comme d'habitude, les accusant de tout cacher, d'agir dans l'ombre tels des rats et de barricader leurs documents à l'abri des regards.

Astryl mena le capitaine de la Légion jusqu'à la cellule, c'était en fait un renfoncement entre deux bibliothèques, fermée par une grille de métal rudimentaire, scellée d'un gros cadenas rouillé. Elle était éclairée d'une étroite fenêtre, encastrée dans le mur de pierre, ce que laissait vaguement entrevoir des rangées de grimoires poussiéreux et des tas de rouleaux de parchemins usés. L'archimage s'écarta de quelques pas après avoir exposé la situation. Querel scruta le verrou de ses yeux froncés et demanda :

- "Il n'y a pas de protection magique sur cette grille à la con ?"

Puis sans attendre de réponse il dégaina une dague de sa botte et l'abattit violemment sur le cadenas à trois reprises, qui céda et s'écrasa dans un tintement métallique sur les dalles de marbre.

- "Faut croire que non !"

Fit-il dans un ricanement, après avoir poussé la barrière cliquetante. Le séraphin s'engouffra dans la pièce et se posta devant les étagères de droite, l'air blasé.

- "Un bouquin sur une étagère de droite, mais y'en a des tonnes... Il est censé ressembler à quoi ?"

La raison pour laquelle il avait violé les interdits sans même se poser la question ni demander confirmation au vieil homme était simple, il ne comprenait pas pourquoi on cachait au peuple des ouvrages de magie. De là il pouvait déduire que l'archimage était en train de le berner, mais comme il était persuadé de la stupidité des bibliothécaires et des bureaucrates hauts placés d'Adiryl en général, rien ne lui avait effleuré l'esprit.