Je restais seul longtemps, immobile. J’étais détrempé et la pluie semblait répondre à ma peine. Sur la pierre de marbre encore reluisante, je pouvais lire ces quelques lettres : « G. Magnus, grand sage et homme respectable ». Oui. C’est tout ce que nous aurons retenu de mon mentor. Ces quelques mots et une dizaines de thèses poussiéreuses. Je ne pouvais pas le croire. Je ne pouvais pas l’accepter. Le temps c’était écoulé bien trop rapidement. Je me lamentais devant la tombe de mon maître alors que j’oubliais l’essentiel. J’étais aveuglé par la peine et la haine que j’éprouvais à l’égard du temps et de sa finalité. Si j’avais su ce qui allait arriver. Si seulement j’avais su.


Plus bas dans la tour, il s’attelait à son travail. Contrairement à moi, il n’était pas aveuglé par la peine mais bien par une rage brûlante. Une haine démesurée qui lui brûla les nerfs jusqu’à fleur de peau. Il c’était préparé si longtemps, trop longtemps. Il avait attendu patiemment ce moment depuis des années. Oui. Des années il avait erré à la recherche de réponse, du prestige et du savoir sans rien trouver. Les échecs, l’abandon, la solitude, tous ces maux lui rongeait les os jusqu’à la moelle.  Que c’était-il passé? Qu’avais-je oublié? Si seulement j’avais su.

Ce matin-là, je marchais péniblement dans les couloirs de la tour m’arrêtant devant chacun des vitraux pour regarder la pluie tomber et être avalé par le vide. Je m’en souviens très bien. Je poussais un hoquettement de surprise lorsqu’il me mit une main sur l’épaule. Me retournant brusquement, je soupirai. Ce n’était que lui. J’entamais une conversation banale. J’étais égoïste. Je lui confiais ma peine, ma misère alors que lui vivait bien pire. Il m’invita à aller en parler dans son bureau. Je le suivis ignorant tout de ce qu’il allait se dérouler.

Il m’invita à m’asseoir et s’assit sur le coin de son bureau. Sur la grande surface de chêne était disposé deux tasses et une magnifique théière de porcelaine. J’agrippai l’une des tasses qu’il remplit de la tisane fumante. Il semblait différent. Je n’aurais su dire ce qu’il avait mais sa peau semblait le démanger. Il se grattait fréquemment et je crus entrevoir des plaies mal cicatrisée sur son avant-bras. Je ne dis rien me contentant de l’écouter tout en prenant une gorgée de thé. Il me disait qu’il comprenait tout. Mon chagrin, ma peine, mes tracas. Il me répéta qu’il allait être toujours là pour moi et que rien ne nous séparerais. Je le cru. Je voulais tellement le croire que je gardais mes œillères. J’aurais dû me souvenir des paroles de ma mère : « réfléchi toujours avant d’agir ». Mon corps et mon esprit devinrent lourd. J’ignorais pourquoi mais le monde tangua sous mes yeux. Son sourire compatissant laissa place à un sourire sombre déformé par les divagations de mon esprit.


- « Maître n’avait d’yeux que pour toi! Fait comme Tayer! Pense comme Tayer! Tayer n’aurais pas fait ça! Il n’y avait que toi dans son scénario parfait! Et moi… Ou était ma place hein? Pensais-tu réellement que j’allais demeurer un novice doublé d’un valet de seconde main le restant de mes jours?  » J’entendais tout mais je ne voyais rien et ne sentait rien. Mon corps était lourd, figé mais mon esprit libre de penser. « Non… Tu me connais mal Tayer. Cette administration me connait mal et notre maître me connaissait mal. Je ne suis pas un moins que rien! Je suis bien supérieur à toi qui n’a fait que lécher les bottes de ce vieux depuis tes cinq ans jusqu’à ce qu’elles soient aussi lisses et luisantes que la larve que tu es! » Je ne comprenais pas. Pourquoi faisait-il cela? Que c’était-il passé? Avant nous nous entendions bien… Oui. Avant. « Tu sais, tu es un bougre chanceux. Je vais te laisser le privilège de soulager ta peine et tes pleurnicheries. D’ici quelques minutes tu iras rejoindre notre pauvre crouton de maître. Tu auras toute l’éternité pour lui lécher les bottes! »
- « Je ne… Je… Je ne savais pas… Que tu jalousais mon… talent à ce point. Si tu… Tu t’étais exercé un peu plus… Tu aurais sans doute… été capable de les lustrer aussi bien que je le faisais… » Dis-je sarcastiquement en voyant la rage et le mépris déformer son visage.

Il tira sur une chaîne et je sentis mon corps se soulever. Oui. Petit à petit, chaque seconde, je reprenais un peu plus contrôle de mes moyens. Chaque seconde, je me rapprochais de la liberté. Mes pieds se rapprochèrent du plafond et ma tête était maintenant à quelques décimètres du plancher. Perplexe, je regardais les inscriptions qui couvraient le sol. Je reconnaissais certaines runes mais d’autres m’étaient inconnues. Néanmoins, ce cercle ne me disait rien qui vaille. Lentement, je vis le cercle se déchirer. Le sol s’écartait prenant la forme d’une gueule béante ouverte sur un puits rougeoyant sans fin. Mes yeux se révulsèrent d’horreur. Je me rappelle encore trop bien de ce spectacle. Oui. Cette scène d’horreur qui grava au fer rouge des images indélébiles dans mon imaginaire. Pourtant, ce cauchemar ne faisait que commencer. Mon « ami » me tira sa révérence et sortit de la salle me laissant seul avec l’horreur qui grimpait lentement le long de ce sombre tunnel s’approchant dangereusement de moi.

La chose n’avait pas de visage. Seulement une large bouche remplit de crocs de toutes tailles. Elle avait quatre longs bras terminés par de redoutables griffes. Ces extrémités tranchantes émettaient un son strident au fur et à mesure que la bête s’approchait de moi en éventrant les parois du tunnel de pierre. Je gigotais, je reprenais contrôle de mes mouvements mais la panique dominait ma rationalité. Je ne savais que faire, je devenais fou, je sentais déjà la vie fuir par toutes les pores de ma peau. Que faire… Je l’ignorais je voulais juste survivre. Trop vite la créature décharnée arriva à mon niveau. Mes dents claquaient, de lourdes gouttes de sueurs perlaient le long de mon front et mon cerveau bouillait. La chose leva l’un de ces bras écarta les griffes puis… Je reteins ma respiration…

J’entendis un claquement métallique et sentit mon corps attirer vers le sol. Je glissais sur une surface lisse et gluante avant de rouler sur le sol. J’ouvris les yeux… La chaîne était en morceau étalé devant moi. Je me retournai. Le monstre avait raté son coup! Bien sûr! Il ne voyait rien! Je me releva et, le cœur battant la chamade, haletant je prononçai une formule. Au-dessus du cratère, concentrant toute l’énergie qu’il me restait, je créai une magnifique sphère étincelant. Telle de multiples flux énergétiques, la lumière traçait plusieurs cercles et autres spirales au-dessus de l’étrange abomination. Je… Je… Je l’ai! Lentement, la sphère dansante commença à tomber vers l’horreur chasseresse qui, de ses longs bras, cherchait une proie au sang chaud, à l’occurrence, moi. Le contact fût éblouissant mais je devais maintenir le flux constant… Je le devais! L’énergie emplit la salle et la créature poussa un hurlement de mort, écrasée par cette énorme balle brûlante. Lorsque je vu la tête de la créature disparaitre dans la fosse d’où elle était apparue, je soupirai. Brendham… Pourquoi? Pourqu… !?

Ma gorge venait de se serrer. De larges doigts griffus avaient entouré mon cou menu. J’avais oublié le plus important… La longueur de ces bras horribles! Je cherchais de l’air mais rien n’emplissait mes poumons hormis le vide. En tremblant, j’ouvris la main puis… L’horreur! Je me sentis projeté. Oui. Je tombai. La créature venait de perdre prise. Il m’arrive d’entendre ce hurlement parfois. Il résonne toujours dans mes oreilles. J’aurais bien prononcé une formule mais l’air ne parvenait pas à faire vibrer mes cordes vocales et mon dernier sortilège m’avait épuisé. Je tombais… tombais… tombais toujours plus bas. Comme de descendait dans cette fosse sombre, je vis ma vie défiler devant mes yeux. Qu’avais-je oublié? Qu’avais-je fait pour mériter cela? Pourquoi? Pourquoi? Peu à peu le bout du tunnel s’éloignait, la lumière se faisait aussi rare que l’air dans mes poumons et mon esprit s’embrouilla. Cette descente vers les ténèbres parue durer une éternité…