Il avait fait une erreur. Une erreur grossière, et impardonnable. Non pas qu’Hanskarl ait l’habitude de pardonner même les offenses moins graves, mais les mots lui manquaient pour décrire toute la gravité de la situation. On s’était joué de lui. Il avait passé trois jours à mener expédition après expédition dans des égouts puants et malsains à traquer les éventuels ravisseurs de la fille d’il ne savait quel petit noble, il avait passé par le fil de sa lame plusieurs abominations répugnantes et il ne avait combien d’avatars de la pestilence, pour enfin pouvoir étriper les kidnappeurs. Normalement, tout aurait du bien se terminer. Il ramenait l’écervelée à son père, négociait à la hausse le prix de la mission, et partait profiter d’un long bain. Seulement, cela ne s’était pas déroulé ainsi. Il avait pénétré dans la maison avec la gamine coincée sous le bras, comme un vulgaire fardeau, et avait attendu qu’on lui délivre son argent, ou que le père inquiet vienne prendre sa fille dans ses bras. Il ne s’était rien passé de tout ça. Il avait attendu dans le hall principal, longuement pour être finalement accueillit par une troupe d’une vingtaine d’arbalétriers portant les armoiries de la famille. Il ne lui fallut qu’un bref instant pour réagir. Il frappa du pied sur le sol, manifestant tout son pouvoir. La pierre de la maison était aussi loin que faire se peut de son état naturel, mais il n’avait pas le temps de faire la fine bouche. Un mur se dressa devant lui, bloquant la première volée de carreaux, qui vinrent se planter dans le bouclier improvisé avec un tintement sec. Il pesa ses options un court instant, avant de crier, sans quitter la protection du muret :

" Je veux parler à votre maitre ! J’ai sa fille, et je n’hésiterai pas à la mettre à mort comme un vulgaire porc s’il ne se montre pas ! "

Bien sûr, il n’aurait jamais été jusqu’à de tels extrêmes. Morte, elle ne valait plus rien. Mais rien ne l’empêchait en revanche de la mutiler ou de trouver la personne qui avait commandité le rapt. Il n’eut comme seule réponse qu’une sommation à se rendre. Il jura, et posa sa main sur le sol, canalisant une fois de plus sa magie. Les briques se descellèrent, et il chuta, la fille toujours sous le bras. Hors de question qu’il la lâche dans ce genre de circonstance. Elle valait beaucoup plus cher que ce qu’il avait initialement prévu, et il pouvait déjà renifler l’or qu’il pourrait empocher quand cette pourtant regrettable bévue aurait trouvé sa juste résolution. A savoir sa lame dans le ventre de chacune des personnes impliquées. Il marchait à travers la pierre, creusant dans le sol avec aisance et facilité, et décida d’émerger après dix minutes. Il fit irruption dans la cuisine d’une maison du quartier, et en sortit sous l’œil effaré mais intelligemment muet de ses habitants. Il se dirigea vers un endroit qu’il savait comme étant désert, sachant pertinemment que les lieux qu’il avait l’habitude de fréquenter seraient sous surveillance. Il ne pouvait pas faire d’erreur.

Il posa la gamine, toujours bâillonnée et ligotée, et la regarda dans les yeux, avant de soupirer. Il l’attacha à meuble, voulant être certain qu’elle ne parte pas, et alla se laver. Il ne pouvait pas décemment continuer à puer de la sorte. Une heure plus tard, après avoir nettoyé son armure et ses armes, il ressortit, vêtu de sa plus simple tunique, son épée toujours à la ceinture. Il regarda la jeune fille, et se pencha vers elle, stoppant sous visage à quelques centimètres du sien. Ses doigts se posèrent sur sa joue, et remontèrent vers son bâillon, pour lui ôter de la bouche. Il place sa main sur ses lèvres, et parla, rapidement, d’un ton égal :

" Tu cries, je frappe et je remets le bâillon. On va faire de manière civilisée, tu veux bien ?

Elle hocha lentement la tête. Bien. Elle semblait plus ou moins comprendre sa situation. Il continua, après un claquement de langue satisfait :

- Est-ce que tu sais pourquoi ils ont essayé de me tuer ?

Sa voix était fluette, pas franchement posée. Elle devait avoir quatorze ans à peine. Une gamine. Il l’écouta attentivement, son esprit travaillant déjà d’arrache-pied pour donner du sens à la situation :

- Ce n’est pas mon père. Il l’a tué, et les hommes des égouts sont des hommes fidèles à sa mémoire. Ils devaient négocier avec des contrebandiers pour que je puisse traverser la cité et restaurer ma…

Il la stoppa net, n’ayant pas besoin d’entendre son discours. Il continua, toujours aussi distant :

- Et pourquoi prendre le risque de me tuer ? Pourquoi ne pas simplement envoyer des assassins à ta poursuite ? Ou ne pas me payer pour te tuer ? J’aurais accepté de le faire, s’il me l’avait demandé. "

Elle le regarda, et se mordit les lèvres. Lui s’autorisa un léger sourire. Il ne l’avait provoqué seulement par plaisir. Il voulait voir comment elle allait réagir, et il n’était pas déçu. Elle ne lui mentait pas, et l’éclat de colère qu’il vit briller dans ses yeux vint le lui confirmer plus avant. Bien sûr, il savait déjà pourquoi il l’avait engagé. Il pensait qu’il aurait été plus simple de se débarrasser de lui. Il l’avait sous-estimé. Il l’avait forcé à jouer son jeu. Le visage du jeune homme se crispa en un sourire forcé, qui révéla ses dents impressionnantes, témoignage de son héritage orc. Il allait le faire souffrir. Il replaça le bâillon dans la bouche de la gamine, ignorant ses protestations, et se leva. Il devait réfléchir. Il y avait forcément ici un angle d’attaque. S’il souhaitait éviter de charger tête baissée dans un piège grossier, il devait se montrer plus malin qu’eux. Ce qu’il faisait généralement très bien. Un large sourire carnassier flotta brièvement sur son visage. Il descendit dans la rue, et attendit un moment, cherchant à repérer un quidam qui ferait l’affaire. Il finit par faire sa sélection, et posa sa main sur son futur associé, l’interpellant sur le ton le plus affable qu’il était capable de produire :

" Bonjour mon bon ami, j’ai une proposition plus qu’intéressante à te faire. Suis-moi. "

Et sur ce, il remonta les escaliers menant à l’humble appartement qu’il squattait, entièrement satisfait de la manière dont les choses tournaient.

Alen'Di n'aimait pas cette ville, pourtant capitale. Elle lui paraissait froide, austère et malveillante... A cause du climat et du vent qui s'engouffrait dans les ruelles il avait été contraint de porter une large cape au col de fourrure dans laquelle il s'était enveloppé. Toutefois, il n'avait pas pu se résoudre en enfiler des bottes et c'était pieds nus qu'il déambulait sur les pavés froids. Il était arrivé la veille et avait déjà envie de repartir. Malheureusement, il ne pouvait se le permettre, il était venu ici chercher des infos sur son paternel. Après tout s'il avait une chance de retrouver sa trace, c'était bien en passant par la capitale et tous ses informateurs, truands et espions. Alen'Di ne savait pas encore ce qu'il ferait en rencontrant cet homme qui l'avait abandonné. C'est justement pendant qu'il vagabondait à la recherche d'une réponse à cette question qu'il sentit une pression sur son épaule. Il se retourna vivement, la main sur la poignée de son épée et se retrouva nez à nez avec un homme d'une carrure impressionnante.

- Bonjour mon bon ami, j’ai une proposition plus qu'intéressante à te faire. Suis-moi.

Puis il s'en fut, marchant d'un pas décidé vers un bâtiment qui semblait désaffecté, ou tout du moins inhabité. Doucement, le Danse Lame relâcha Lenaa et se dirigea lentement vers l'appartement en question. Puis il s'arrêta net. Il ne voyait absolument pas ce qu'il avait à gagner... De l'or ? Alen'Di n'avait que faire du métal précieux non magique. Pire, cela pouvait s'avérer être un piège. Mais qui pouvait bien vouloir piéger le banni des sables ? Un léger sourire éclaira le visage de l'homme du désert. De toute manière, il se demandait bien qui était en mesure de le tuer. Il poussa la porte du bout du pied, pointe de son sabre à hauteur de poitrine. L'autre "homme" l'attendait là, vêtu d'une simple tunique. Son épée était sagement rangée dans son fourreau et il souriait d'une manière tout à fait chaleureuse. A dire vrai, il apparaissait évident que cette personne n'était pas humaine, ou du moins pas complètement... Ses traits durs, presque brutaux, n'étaient pas sans rappeler ceux des orcs. Alen'Di rangea sa lame et tendit sa main droite, tout en lançant d'un ton amusé :

- Bien le bonjour. Qu'ai-je à gagner ?

HRP: