Cache-cache dans la brume... [Elza Avallahé]

________________ ________________

Cela ne faisait que trois jours que Swan avait commencé son voyage. Elle se rendait dans une lointaine ville et les Plateaux de Lune était un passage obligé pour s'y rendre. Elle n'avait eu que trois fois l'occasion de les traverser, et n'en gardait pas un très bon souvenir. Ils étaient réputés dangereux, et cela s'était très vite confirmé. Elle avait été attaquée, s'était perdue, blessée, et était enfin arrivée dans un village en haillon. Et l'accueil avait été glacial, à la limite de l'hostilité. Les paysans du coin n'aimaient pas les étrangers. Et dès qu'elle avait été un tant soit peu en état de reprendre la route, elle l'avait fait, malgré les protestations peu convaincantes de la guérisseuse. Cette quatrième traversée s'avérait être celle où les conditions climatiques étaient les moins favorables : un brouillard à coupeau au couteau empêchait quiconque de voir ne serait-ce que sa propre main. Cela rendait Swan très méfiante, et elle sursautait au moindre bruit, se figeait lorsqu'elle croyait voir quelque chose. La transpiration coulait dans son dos, et elle éprouvait une forte chaleur malgré l'air glacial extérieur. La température devait être négative, et pourtant la jeune femme se sentait fiévreuse.
C'aurait été à cause de la pluie, tout cela n'aurait sans doute pas eu autant d'effet sur elle. Mais Swan s'en souvenait encore comme si c'était hier... Elle était arrivée dans une jolie clairière ensoleillée... Puis s'était enfoncée dans la forêt... Etait arrivée sur un plateaux où le brouillard s'était levé... Et...

"La lisière est déjà loin derrière elle. Elle avance sans savoir où elle va, le brouillard l'aveugle. Il est si épais qu'elle pourrait presque se reposer dessus. Le silence est total et oppressant. Mais soudain, il est brisé par un rire. Il est reprit par un autre. Ils viennent de partout, devant, derrière, en haut, à gauche. Ils sont forts, lointains, proches, aigus. La panique monte, les démons s'approchent. Elle peut sentir leur souffle sur sa nuque, elle peut presque les voir l'encercler. Et un vent puissant balaie la brume. Les créatures se dévoilent... Les rires n'en finissent pas..."

Revenue dans le temps présent, Swan s'éveilla enfin. Elle était couchée sur le dos, et crû un instant qu'elle était enfermée quelque part. Mais non, il s'agissait simplement du brouillard qui ne s'était toujours pas levé. Elle avait dû s'évanouir sous l'afflux de souvenirs douloureux. Combien de temps était-elle restée inconsciente ? Longtemps, il faut croire, car la nuit était déjà tombée, rendant encore plus difficile le voyage. Swan avait avec elle tout son équipement pour camper, mais elle avait dû le perdre en tombant et n'arrivait pas à mettre la main dessus. Elle avait hésité à le prendre, sachant qu'elle pourrait aller de village en village après avoir quitter les Plateaux de Lune. Mais elle ne voulait pas dormir chez les habitants de ce plateaux, si hostiles aux inconnus. Elle avait donc préféré prendre son matériel. Mais maintenant, elle l'avait perdu. Et quand bien même elle l'aurait toujours en sa possession, elle aurait été dans l'incapacité de l'utiliser, ainsi privée de vue.

Swan se releva et entreprit de poursuivre sa route. Autant aller le plus loin possible. Enfin, elle n'en était pas sûre, peut-être était-elle en train de faire demi-tour. Mais elle n'allait certainement pas rester assise à attendre que le brouillard se lève, ce qui n'était sans doute pas prêt d'arriver. Sa marche dura deux bonnes heures. Le silence était complet, et il n'y avait pas âme qui vive. Jusqu'à ce que... Swan n'était plus seule. Une ombre furtive était là, tout prêt d'elle. Peut-être que l'inconnu ne l'avait pas vu, peut-être cherchait-il juste à entrer en contact, ou peut-être lui voulait-il du mal. Il ou elle. Dans le doute, Swan dégaina ses poignards empoisonnés et mit tous ses sens en éveil. Elle se déplaçait silencieusement, pour ne pas alerter son potentiel ennemi. D'après ce qu'elle pouvait percevoir (ou d'après ce que son esprit imaginait) elle arrivait à la conclusion que la personne l'avait remarquée. La jeune femme aurait put danser, mais dans de pareilles conditions, ç'aurait été très dangereux pour elle, aussi décida-t-elle de s'en abstenir. La tension montait, et Swan avait de plus en plus de mal à contenir sa terreur. Si un éclat de rire avait le malheur de retentir, elle était certaine de ne plus répondre de ses actes...

________________ ________________

Le paysage eut revêtit son manteau de brume en cette froide matinée. A moins que ce ne soit encore la nuit ? Comment savoir, comment voir à travers le brouillard où le soleil en était dans sa course. Pourquoi était-elle sur le monde du milieu ? Monde hostile et ingrat, à des années lumières du paisible Adiryl ? Son haut de rang de conseillère ne lui donnait-il pas des obligations ? Si, effectivement. Mais depuis sa naissance, elle n'eut vu que sa terre natale. Chaque ville, village, forêt, arbres et brins d'herbes lui était familier. Rien ne lui était inconnu. Que ce soit le présent qu'elle vivait, le passé dont elle se souvient et même le futur qu'elle voit. L'ennui était là, et il n'y a pire souffrance que l'ennui. N'écoutant que ses instincts de jeune fille, Elza décida de descendre sur Feleth, peut importe ce qui l'attend, tout lui ira du moment que ce soit nouveau. Malgré les milliers d'années passés à vivre, sa curiosité naturelle n'était toujours pas morte.
Étrangement, le voyage ne fut pas aussi palpitant qu'elle s'y attendait. Le calme plat. Alors elle se mit en route, dans les vastes étendues. Prisonnier des plateaux de lune, on raconte que ce lieux est le repaire privilégié des vampires. Ces derniers n'étant que des démons dont le Vein n'a point voulu. Mais, si les démons n'ont pas voulu d'eux, alors peut-être valent-ils la peine qu'on cherche à les sauver ? Oui ou non, cela importait peu à l'Oracle. Cette dernière considérait en effet le monde du milieu comme symbole de liberté. Certains bon, d'autre mauvais. Ils sont façonnés par le vécu, l'éducation. Guidé par le grand dessin, par la main de la destinée. La liberté est belle, autant qu'elle est laide. Dans le Vein, nul n'a le choix, il faut être mauvais. Sur les terres d'Adiryl, nul n'a le choix, il faut être bon. Les mondes du bien et du mal ont chacun leur volonté, ils font tout leur possible pour façonner les êtres qui y vivent à leur image. Cela devient flagrant lorsqu'on considère qu'un ange est doté, dès le berceau, d'un code d'honneur. Le plus fascinant restent sans doute que ces deux univers acceptent volontiers les invités, qui peuvent même y élire domicile. Un humain peut très bien devenir un élu, tout comme les magies noirs du Vein peuvent le corrompre pour en faire un horrible monstre, que la folie rend plus dangereux encore que les démons eux-mêmes. Que ce soit celui du dessus ou du dessous, les mondes guident leurs êtres vers une voie qui, au final, leur permet de ne pas se perdre.

Et qu'en est-il du Feleth ? Monde où ni le bien, ni le mal dirige ? C'est l'harmonie, l'équilibre entre ses deux forces. N'est-ce pas ironique que cette équilibre amène au chaos le plus total ?

Les réflexions de l'Oracle aurait put se poursuivre des heures encore lorsqu'elle vit une silhouette à travers l'écran de brume. Elza ne put s'empêcher d'être méfiante, tout simplement car la région était censé être le repère de nombreux vampires. On n'est jamais assez prudente. Une valse commençait entre deux silhouettes. Car après tout, c'était ce qu'elles étaient l'une pour l'autre. J'y pense, savez-vous ce qu'est la brume ? Non ? Et bien ce n'est rien d'autre que de l'eau. De l'eau sous une de ses si nombreuses formes bien sur, mais ce n'est au fond que de l'eau. Or, il se trouve que l'indigène venue du dessus maitrise cet élément. Ainsi, faire disparaitre le brouillard serait pour elle un jeu d'enfant... Et, étrangement, elle ne pouvait s'empêcher de ressentir de l'excitation. Qu'allait-elle découvrir une fois le voile disparut ? Serait-ce un vampire en quête d'une nouvelle proie ? Un jeune enfant perdu ? Ou bien même un vieux baroudeur ? Quoiqu'en prenant en compte ses pas feutrés, ce n'était surement pas un baroudeur. Oh, un assassin peut-être ? Allez savoir, tellement de possibilité. Ne pouvant attendre plus, Elza fit se lever le brouillard à l'aide d'un simple geste de la main. Tout redevint clair, ou du moins visible. A ses yeux ne s'offraient aucune des hypothèses qu'elle eut imaginé. Il n'y avait qu'une... femme. Une jeune femme dans la fleur de l'âge, au traits fin et délicats, le visage lisse. Mais il se dégageait d'elle quelque chose d'étrange, quelque chose de presque surnaturelle. Son teint pâle n'y était pour rien, contrairement à sa chevelure neigeuse et à ses sourcils aux teintes violacés. Ses pas feutrés comme celui d'un chat s'expliquait maintenant par son corps fin et aérien comme celui d'un oiseau. Quelques mètres séparaient les deux, et un nombres incalculables d'années aussi.
Elza restait méfiante tout de même, car la plus belle des couverture peut cacher le plus horribles des livres. D'où les quelques mètres qui les séparaient encore. Elle surprit un petit sourire se dessiner sur ses lèvres, puis un petit ricanement amuser qu'elle ne put ni ne voulut contrôler, un brin moqueur.

" - Tu es perdu ? "

Une question simple, certes, mais au combien pertinente.

" - Il ne faisait pas très beau tu ne trouves pas ? "

Pourquoi avait-elle dit ca ? Pour faire la conversation, sans doute....

Spoiler: