L'hiver n'était pas encore terminé, loin de là. Les températures étaient encore fraiches, et le soleil encore timide. Mais il y avait des jours d'exceptions, comme ce jour-là : pas de pluie, pas de vent, des températures assez douces, un soleil radieux. Mais c'était à peine si Swan sentait ses rayons sur son visage pâle: les branches touffues des arbres millénaires l'en cachaient.
Les forêts peuvent paraitre bien silencieuses à qui ne sait écouter. Pourtant, elles regorgent de bruits en tout genre, témoins de l'intense activité de la vie. Swan avait l'oreille entrainée, ayant passé sa vie sur les routes, mais principalement au couvert rassurant des forêts. Elle s'assit sur une pierre qui trainait au bord du chemin, ferma les yeux et ouvrit grand ses oreilles. Une multitude d'oiseaux gazouillaient, une brise fine agitaient les feuilles naissantes des arbres, des animaux maladroits cassaient des branches mortes en bondissant... Rouvrant les yeux, la danseuse-guerrière se surprit à sourire, fait très rare. Elle ne souriait jamais en présence de quelqu'un. Mais pour une fois elle était seule, sereine, reposée. Autant de conditions qui faisaient qu'elle était de très bonne humeur. Elle ne savait bien évidement pas que cette joie serait de courte durée. Se décidait enfin à reprendre ses errances, elle se releva et continua à suivre le sentier qui s'effaçait par endroits.

Sa promenade continua un certain temps, dont elle perdu le décompte. La journée n'était pas tellement avancée, et le soleil était encore haut dans le ciel. L'après-midi devait être à peine entamé. La forêt était toujours aussi bruyante, et le sentier toujours aussi désert. C'était étonnant tout de même, de ne croiser personne par cette si belle journée. Quoique en fait, pas tellement. Les personnes comme Swan était rares: sans attaches, sans métier fixe, sans amis. Sans rien. Seule. Depuis quelques semaines, la jeune femme s'était établie dans une petite auberge peu luxueuse mais bénéficiant de tout ce qui lui était indispensable : un lit. Pour sa toilette, elle allait chaque matin à la rivière qui coulait non loin, et pour se restaurer, elle n'avait qu'une baguette de pain le matin, et un repas un peu plus consistant le soir, cadeau de son patron. En effet, elle travaillait dans un bar à mi-chemin entre le repère d'ivrognes et le point de rencontre de gens normaux et civilisés. Autant dire qu'elle se trouvait particulièrement heureuse de ce job, tellement moins miteux que certains qu'elle avait put faire. Sa paie n'étant pas très consistante, Swan ne s'autorisait aucune folie. Cela ne la dérangeait pas beaucoup, étant donné qu'elle ne s'attachait à aucun bien matériel. Il lui fallait juste une nouvelle tunique de temps en temps, des flacons de poisons, et c'était tout.

Swan laissait vagabonder son esprit, tandis que ses pas en faisait de même. Mais elle ne s'écarta pas du chemin, ayant fait ce trajet plusieurs fois déjà. Elle faillit se trahir à cause de son manque d'attention. Un peu plus loin sur le chemin, il y avait un homme. Grand, tout de noir vêtu, masqué. A son bras musclé pendant celui, bien plus frêle, d'une petite fille en larme. Elle avait l'air terrifiée, mais Swan ne pouvait en être sûre de là où elle était. Elle s'était cachée derrière un buisson, se maudissant de ne pas les avoir vus, et d'avoir fait tant de bruit en se jetant à couvert. Mais les inconnus semblaient trop occupés et ne l'avait pas remarquée. Une chance. La jeune danseuse tenta de s'approcher, mais ne parvint pas à entendre ce qu'ils disaient. S'approcher encore aurait été trop dangereux.
Après quelques minutes, l'inconnu en noir se mit à trainer la petite sur le chemin. Swan décida de les suivre, sans bien savoir pourquoi. Elle n'entendit pas les paroles qui furent encore échangées, et vit simplement la gamine se faire abandonner et l'homme partir comme si de rien n'était. Swan attendit qu'il fut loin avant d'aller voir la mourante. Celle-ci, la remarquant, essaya de parler :

-... tuer... homme... 'plait...

La Lame Noire avait compris ce que la jeune fille lui demandait de faire, et se demandait si elle devait ou non accepter. Après tout, elle ne connaissait pas cette enfant, ne connaissait pas le meurtrier, et il ne lui avait rien fait. Elle murmura donc de vagues excuses avant de dégainer son poignard, dans le but d'abréger les souffrances de la petite, de toute façon condamnée. Cette dernière l'implora du regard de la laisser parler encore avant de l'achever, et articula difficilement :

-... tuer... tuer... moi... pa... man... 'ères, soeurs... 'plait...

Swan avait bien envie d'aider cette pauvre fille innocente, mais n'avait pas envie de se salir les mains pour rien. Puis, avisant un éclat autour du cou de celle qui agonisait douloureusement, elle découvrit un lourd médaillon chargé de pierres sans doute précieuses. Elle le prit, l'agita sous le nez de la petite et demanda si c'était de l'or véritable, et des pierres valant quelque chose. L'ancienne propriétaire de l'objet ferma et rouvrit doucement les yeux pour confirmer. Alors la jeune femme aux cheveux clairs offrit un sourire, si rare, à l'enfant avant d'enfin la libérer de cette vie, le plus proprement et indolore que possible.
Puis elle se releva, et partit en quête de l'assassin. Elle suivit le chemin qui s'enfonçait encore dans les bois, tandis que le soleil poursuivait sa course dans le ciel. Swan ne sut comment elle retrouva l'homme en noir. Il était soit incroyablement stupide, soit très sûr de lui. En effet, il se comportait comme n'importe quel promeneur. Décidant qu'elle ne le tuerait pas par surprise, Swan l'interpella :

-Eh toi, le tueur d'enfant ! Pour toi aussi, ce sera ton dernier jour.

Et elle s'élança sur lui sans lui laisser le temps de répondre. Nullement intimider par cette femme qui l'agressait, il sortit ses armes et commença à se battre. Il se défendait bien. Trop bien, même. Ni l'un ni l'autre n'arrivait à se blesser, et ils comprirent presque en même temps qu'ils étaient tout simplement de la même classe. Ce combat pourrait durer des heures. Il y aurait soit deux survivants, soit deux cadavres. Mais la danseuse avait un avantage sur l'inconnu: son don. Et elle ne se fit pas prier pour l'utiliser. Ses gestes devinrent une danse, mortelle et impitoyable. Le temps de s'habituer au changement, elle récolta une belle estafilade sur la cuisse, qui déchira son vêtement au passage. Grimaçant légèrement, Swan continua sa danse. Elle avait fermé les yeux sans s'en rendre compte au fur et à mesure que le rythme s'intensifiait. Et quand un gémissement d'horreur survint, elle sut qu'elle avait gagner. Alors enfin, elle poignarda son ennemi dans le ventre, de sorte qu'il ne meurt pas tout de suite. Le poison qui se répandait déjà dans ses veines s'en chargerait. Alors elle désarma le mourant, des fois qu'ils lui resteraient assez d'énergie pour l'avoir par surprise, et le fouilla pour voir s'il n'avait rien qui puisse l'intéresser. Elle ne trouva rien de précieux, mais décida d'emporter les armes. Ce genre d'objet trouvait toujours acquéreur.

C'est en pleine fouille que la découvrit l'inconnu qui passait par là.