Il y a deux jours, je me suis levé du mauvais pied. C’est assez étrange
puisque je suis ambidextre, mais qui ne le serait pas s’il se faisait réveiller
par un membre de l’alliance un peu trop sur de lui. Il était jeune… trop jeune
pour partir seul à la chasse aux vampires. Ça devait être un nouveau sans
instructions qu’on a envoyé faire ses preuves. Avec un peu de recule, je pense
à sa famille, au deuil qu’ils devront faire… je n’ai pas pu m’en empêcher… la
colère et la soif ne font pas bon ménage! Au moins, il avait bon goût .

Il ne m’a fallu que quelques minutes pour tirer une conclusion. Rien
de désastreux, mais certes un désagrément. Quelqu’un m’avait forcément retrouvé
et je dois le faire taire. De retour au cadavre siphonné, à la recherche
d’indices, je lui vidai les poches trouvant un papier… le regardant les yeux
écartelés, je ne pus retenir un petit rire. Quel commanditaire sain d’esprit
donnerait physiquement son adresse tueur à gages!? Je pensais que la clé était
l’absence de lien direct entre la victime, l’assassin et le connard pour éviter
que quelqu’un remonte la piste!

La dernière maison de la rue Moros (Doom en grec ) à Madorass. La
dernière fois que j’ai mise les pieds dans cette ville, j’ai eu droit à un
spectacle gratuit… la mise à mort d’une mère et de ses filles pour avoir
résisté aux capes blanches. Très dramatique… je dois avouer que ça ne
m’enchante pas le moins du monde, mais quand on n’a pas le choix, on n’a pas le
choix!

Il ne me fallut pas même trois jours et trois nuits pour m’y rendre.
Un cheval n’aurait pas pu faire mieux, mais la non-vie m’offre certains
avantages sur les mortels. Plus forte, plus rapide et pratiquement inépuisable.
Seulement, mon sens de l’orientation demeure inchangé… c’est dommage, cette
ville est un vrai labyrinthe la nuit. À première vue, toutes les ruelles sont
identiques, sombres et étroites. J’eu l’impression de toutes les voir passé au
moins deux fois lorsque que je pu enfin lire Moros. Comme prévu, je me rendis à
la maison du fond puis cognai simplement sur la porte. Inutile d’attirer
l’attention, cet endroit grouille de vermines (les capes blanches ).

« Bordel, que voulez-vous!? On est au milieu de la nuit! » Se fit
entendre. Je continuai simplement à cogner, il finirait bien par se lever…
c’est précisément ce qu’il fit. Lorsqu’il ouvrit la porte, je le poussai aussitôt
d’où il venait, pénétrant du même coup dans la maison. L’élan que sa main
provoqua suffit à fermer la porte derrière. Réalisait-il qu’il venait de causer
sa perte? Personne n’allait l’entendre gémir de douleur lorsque je le viderai
lentement, très lentement.

« S’il vous plaît, ne me faites pas de mal! Mes enfants dorment aux
premiers! Je… je ne veux pas qu’ils voient… » Me supplia-t-il. J’avais un cœur,
mais inutile de s’attendrir à ce moment, c’était une potentiel question de
survie. Ne voulant pas en entendre plus, je le saisis immédiatement à la gorge,
le plaquant au mur.

« Tu ne me laisses pas le choix, mettre l’alliance sur ma piste risque
de me coûter très cher… Ton assassin est mort… bientôt ça sera toi. Quelqu’un
d’autre au courant de mon existence? Si tu me dis la vérité, il y a peut-être
une chance que tes enfants s’en tirent. Plus l’âme est innocente, plus le
liquide est exquis! » Je n’ai pas la moindre intention de m’en prendre à ses
enfants, mais il ne peut croire le contraire. À ses yeux, je suis une monstre.
Je savais qu’il voulait leur bien, insistant de ne pas lui faire de mal pour
eux… il allait tout me dire.

« Une femme, j’ignore comment elle s’appelle… où elle est, mais j’ai
promis de la payer grassement au nom de l’alliance lorsqu’elle m’aurait emmené
une preuve de ta mort. Tu ne lui échapperas pas!» Me dit-il.

Sa dernière phrase était de trop, d’une
seconde à l’autre, ça allait se terminer pour lui.

La recette avait été fructueuse. Sur les trois têtes mises à prix qu'elle était partie attraper en début d'après-midi, deux étaient hors d'état de nuire, l'argent qu'elles valaient déjà bien rangé dans ses affaires personnelles. La demi-vampire s'était réveillée le matin-même avec une folle envie de faire de l'exercice, aussi n'avait-elle pas choisi ses têtes au hasard, prenant les plus intéressantes. La troisième pourtant, était un peu plus coriace que les autres. Pas parce qu'elle était plus forte, loin de là, cet homme ne valait rien et se reposait sur les autres pour faire son travail, mais seulement parce que pour avoir le beurre et l'argent du beurre, il lui fallait attendre un moment précis. Moment qu'elle guettait déjà depuis quelques temps. Et elle savait grâce à la mort, quelques jours plus tôt, de l'assassin -si l'on pouvait qualifier cet homme d'assassin tant il paraissait inexpérimenté- qui avait reçu la même mission qu'elle, que cet instant allait bientôt arriver.

Toute la fin de l'après-midi, elle avait vagabondé, ne quittant pas la rue Moros et ses environs, où elle savait que son 'commanditaire' se trouvait, attendant le moment le plus propice pour attaquer, non sans retenir des frissons d'excitations. Et elle savait exactement quand elle devrait attaquer. La demoiselle n'était pas une traqueuse sans expérience et connaissait donc les moments où il fallait se faire transparente et ceux où il fallait révéler toute l'étendue de ses intentions. Aussi, lorsqu'une femme inconnue de la demi-vampire arriva dans la rue Moros et la parcourue jusqu'à la toute dernière maison, celle-ci ne put retenir un sourire qui en disait long sur ses intentions, alors que ses yeux, de la couleur de la lune, ne lâchait pas la cible des yeux.

Lorsque la jeune femme rentra chez son 'patron', Rinha descendit nonchalamment de son arbre, les mains bien enfoncées dans les poches de sa veste en cuir. Enfin elle était là. Enfin elle allait pouvoir s'amuser. Pourtant, lorsqu'elle arriva dans l'encadrement de la porte d'entrée, elle se dit qu'elle aurait peut-être dû venir un peu plus rapidement, la jeune femme s'apprêtant à commettre un meurtre qu'elle ne regretterait pas.

« Je savais que vous finiriez par venir. »

Interruption simple. Brève. Efficace. Juste parce qu'il fallait commencer par quelque chose. Pendant sa prise de parole, la demi-vampire s'était adossée au chambranle de la porte, les bras croisés, son regard tout entier absorbé par la scène qui se déroulait sous ses yeux.

« Qui êtes-vous ? »

La chasseuse de primes se tourna vers l'homme toujours menacé de mort mais qui semblait, à cet instant, avoir oublié que sa vie ne tenait plus qu'à un fil.

« Une personne qui en veut à votre argent, Monsieur Sawako. »

Puis sans plus de cérémonie et ignorant totalement le menacé comprendre qui venait d'apparaître, elle referma la porte et s'avança jusqu'au centre de la pièce, ne lâchant plus la femme du regard, mémorisant son visage.

« Vous m'excuserez mais je vais vous demander de me donner cet homme. »

La demi-vampire n'avait jamais été aussi sérieuse.

Rinha avait très vite compris que la femme en face d'elle avait quelque chose de différent par rapport à tout ce dont elle était habituée. Elle ressentait sa puissance aussi sûrement qu'elle la voyait réagir explicitement à ses paroles avec ce sourire, apparut soudainement et qui ne pouvait tromper personne. Elle qui s'amusait de rien avait soudainement l'impression d'être tombée sur un de ces lots qu'on espère avoir mais que l'on pense toujours pour un autre. La demi-vampire était exaltée comme peu souvent.

« Qui se soucie de la vie que nous méritons? Lui? Les autres humains? Toi? Non… Nous devons déjà nous battre pour survivre lorsque l’alliance nous traque. Regarde toi bon sang… tu trahi ta race, ta famille! Tu veux l’argent? »

Néanmoins, elle semblait se trouver face à une personne ayant d'autres sentiments bien différents des siens. Et si la nature de celle-ci n'avait pas été clair pour elle depuis le départ, la chasseuse de primes ne pouvait plus avoir le moindre doute maintenant. Un temps exaspérée par le ton de la jeune femme et son manque de politesse, elle reprit vite son sérieux, ne voulant rien manquer de la scène se déroulant sous ses yeux. De ces mains blanches qui se refermèrent sur le cou d'un homme qui la regardait avec la force de l'espoir. De ce craquement sec des os de ce même homme. De ce corps sans vie s'écroulant au sol.

« Tu devras faire le deuil de ton argent ma belle…de toute façon, je n’ai pas l’intention de te laisser remplir ta part du contrat. »

Elle soupira, souriant intérieurement, moins étonnée par l'acte de la vampire que par ses paroles, elle avait déjà vu pire que ça. Seule l'idée que maintenant, il lui faudrait fouiller entièrement la maison pour trouver l'argent avait un impact quelconque.
Elle vit d'ailleurs celle-ci se rapprocher lentement, de manière intentionnelle alors que Rinha ne bougeait pas, captivée par le regard de la vampire. A part sa mère qu'elle ne voyait plus depuis des années, les images qu'elle avait des vampires étaient très floues et pour la plupart, synonymes de mauvais souvenirs. Pourtant, il lui semblait reconnaître quelqu'un dans ses yeux sombres... Elle ne s'y attarda cependant pas plus longtemps, ayant bien plus intéressant à faire pour le moment, comme s'étonner du soudain pouvoir que relâcha la vampire, de ses yeux qui changèrent brusquement de teinte ou de l'attitude de celle-ci, qui semblait attendre une quelconque action de la part de la chasseuse de primes qui n'avait pas encore esquisser le moindre mouvement. Celle-ci au contraire, prenait un malin plaisir à observer ce que le pouvoir de la vampire, une fois révélé, avait changé en elle.

« L'homme que tu viens de tuer était ma cible. Sache simplement que le fait que tu l'es tué ne change rien, je perdrais plus de temps ici, c'est tout. Quant à savoir qui a trahi qui, je ne pense pas que tu sois en quelconque position de t'avancer sur ce genre de choses. »

Rinha, après avoir refoulé l'énervement et la colère qui menaçaient de surgir, reporta son regard sur le cadavre, déçue de ne pas avoir pu en être elle-même la responsable dans le seul but d'obtenir ce qu'elle voulait plus vite.

« Au fait, ne sont pas seuls membres de l'Alliance les chasseurs de vampires... Il est parfois surprenant de voir ce que l'Homme est capable de faire par pur intérêt. »