Un homme au teint maladif, les longs cheveux blancs tombant en cascade sur les épaules, des traits secs et durs, anguleux, pointu, tenue soignée, chemise blanche, veston noir, manteau de cuir, grosses bottes. Le bruit étrange, raison de mon approche en direction de cet homme, vient de ses bottes dont le talon et la pointe du pied sont coulés dans du fer. Il est plus petit que moi, et cela m'étonne un peu. Généralement les hommes sont tous plus grand que moi. Il semble gêné par ma présence, ou ma prestance, penchant la tête. Il bégaye une chose que je ne comprend absolument pas au début, avalée par le brouhaha des discutions s'élevant d'un seul coup. L'entracte vient d'être annoncé. J'entends tout de même la fin de sa phrase qu'il reformule par trois fois avant de réussir à prononcer le mot "Prestation" correctement. Il me félicite pour ma prestation. Je ne sais pas si j'ai raison ou tors, mais je pense qu'il a dit ça dans l'improvisation. Cependant il ne ressemble pas à un pianiste, et il n'était pas présent dans les coulisses au début du concert. Il est donc venu après la représentation, mais pour quelle raison ? Voici un mystère à éclaircir. Je vais commencer par être poli.

-Merci beaucoup ! Mais ce n'est pas grand chose, je joue pour mon plaisir avant tout. Si mon morceau vous a plu, c'est que vous avez dû ressentir cette passion.

Mes yeux tombent sur l'armement accroché à sa ceinture. Une arbalète et une épée en argent. Les carreaux semblent en argent aussi. Je me demande à quoi peut bien servir tout cet attirail, sans compter que l'argent coûte plus cher que le fer pour une efficacité identique. Je crois savoir que l'argent est plus solide, ce qui expliquerait qu'il constitue l'épée, mais pour les carreaux je donne ma langue au Béhémoth. Soudain me prend l'envie de vouloir me battre contre lui. Un simple jeu amical, pour tester ses capacités. Et puis je suis formé aux soins légers, de ce côté là il n'y aura pas de soucis. J'espère qu'il sait manier ses armes comme je sais manier les miennes. D'un coup sec, sans avoir donné un seul indice de mes intention, je saisit ma masse et lance mon coup vertical dans sa direction. Chose non surprenante, il s'arme de son épée tout aussi vite que moi pour parer mon coup.

-Mais une autre passion m'anime. Celle du Jeu, et notamment les petits affrontements amicaux. J'aimerai vérifier vos talents de bretteur, si vous le permettez... ?

Je m'appuie sur mon arme pour tester sa force. Les autres artistes nous regardent d'un air distant, à la fois terrifiés et fascinés. Je plonge mes yeux dans ceux de l'inconnu. Que cache-t-il ? Je n'arrive pas à savoir ce qu'il pense, ni ce qu'il est. Je poursuit mon assaut amical en décroisant le fer, ou plutôt l'or et l'argent dans le cas présent, pour porter un deuxième coup vers le bas. Coup paré par l'homme. Il maitrise son arme. Ce pourrait être intéressant de nous confronter ou de travailler ensemble. Je souris doucement, penche légèrement la tête sur le côté en signe d'amusement et de volonté d'en apprendre plus sur lui. De ma voix grave je lui pose une simple question, que j'espère être le début d'une relation.

-Puis-je connaitre votre nom ?

(Ambiance)

Ma ruse a fonctionné. Il a tenté de m'attaquer de front et s'est retrouvé face à mon bouclier électrifié. Il a tenu bon et n'a pas lâché son arme, chose que font la plupart de mes adversaire. C'est une preuve de maîtrise, encore une fois. Il retient la leçon et change de tactique, optant pour le combat a distance. Il se recule en chargeant son arbalète d'une rapidité étonnante, bien supérieure à sa maitrise de l'arme blanche. Je dois me méfier de lui maintenant. Heureusement je suis déjà en position de défense, bouclier en avant. Petit déclic, bruit de corde qui se détend, sifflement d'un carreau dans l'air, tintement métallique. Le carreau a rebondit contre mon bouclier pour choir à mes pieds, mais il lui a laissé une belle marque. Son arme est étudiée pour être efficace contre les choses dures comme des carapaces, des boucliers ou des abris de bois. Je ne sais pas ce qu'il chasse habituellement mais ça doit être du gros ! Je sors tout juste de ma réflexion qu'il a déjà disparu. Je ne peux plus compter sur ma vue dans cette pénombre et ce labyrinthe d'étagères. Mon deuxième atout est mon ouïe. Il marche à pas feutrés, je l'entend tout juste et je n'arrive pas à discerner sa position. J'ai le choix entre deux direction, il faudra que je compte sur ma chance.

Tout aussi discrètement que lui je me dirige vers un meuble et le pousse sans hésitation. Le meuble penche, vacille, puis tombe lentement. Bonne pioche, je vois une ombre se déplacer rapidement pour se dégager de derrière afin d'éviter d'être réduit en crêpe. Pourtant c'est bon les crêpes. Ce ne doit pas être à son goût car il est là, à quelques mètres de moi, accroupit au sol. Il a dû faire une roulade pour s'échapper et braque maintenant son arbalète vers moi. Je place mon bouclier devant moi, nouveau tir de sa part, nouveau choc sur mon bouclier. Je ne peux pas continuer comme ça, il faut que je change de tactique, sinon il finira par percer mes défenses. Même si pour cela il devra se fatiguer, tellement qu'il ne pourra plus bouger aussi rapidement qu'actuellement. Alors qu'il se relève pour recharger et se déplacer à nouveau je charge mon bouclier en électricité, place mon bras derrière et prépare toute ma force. Lorsque je prononce l'incantation magique, ma voix résonne de toute part sans que la pièce en soit responsable.

-Entre Ciel et Terre se trouve le fil tranchant de la Lame de Foudre, entre mes mains sa poignée... Rasoir Éclair !

Je lance mon bouclier électrifié dans une courbe bleutée très prononcée. Il est relié à ma main par un mince courant électrique, ce qui me permet de contrôler la distance entre le bouclier et ma main. L'objet de défense tourne sur lui même à une vitesse effrayante, le rendant capable de trancher le plus épais mur de fer. Surpris, Küüf met une seconde avant de réagir et de faire une roulade arrière pour passer sous ma deuxième arme. Les étagères elles, par contre, ne résistent pas. Leur bois est coupé comme du beurre dans une pluie de débris et d'échardes, de feuilles et de cadavres de manuscrits. Küüf agit tout de suite en me tirant le carreau déjà encoché, que j'évite avec difficulté. Il m'arrache une perle de sang, trace une ligne rouge sur l'épaule. Je rattrape mon bouclier en le ramenant à moi, souriant.

-Force contre Vitesse. Endurance contre Agilité. Magie Guerrière contre Maîtrise de l'Arme. Le combat est équitable. Quand tu auras brisé mes défenses tu pourras me vaincre, mais tu seras si fatigué que tu ne pourras plus esquiver. Nous seront tout les deux au même point. C'est franchement amusant et intéressant !

Déja il encoche un nouveau carreau tandis que je me place en posture défensive.