Entorse.
La forêt des amanites était un des lieux où Akira se réfugiait souvent. Dans la jungle particulièrement, n'étant pas un endroit très fréquenté. Il n'avait pas peur des tribus parfois hostiles, qui vivaient ici, ni de leurs créatures obèses qui chargeaient n'importe qui. Le démon marchait depuis plusieurs heures, sans but précis. Son arme était dans son dos, accroché en bandoulière grâce à une lanière de cuir qu'il avait trouvé ici, et il tenait sa sacoche en main. Elle s'était abîmée lors d'un combat avec une cape blanche, ce chien avait tenté de lui arracher, mais Akira savait protéger ses affaires. Ce jour là, il avait crevé les yeux de sa victime et laissé le cadavre aux orbites vides dans un égout. Ce n'était pas très poétique, mais le démon n'aimait pas faire usage de son art pour les serviteurs du royaume.

Curiosité.
Akira entendit des bruits de charrette non loin de là. Un convoi ? Dans la jungle de la forêt des amanites ? Il chercha d'où venait le bruit des sabots et des roues, et repéra le charrette bien plus loin. Elle allait dans le même sens que lui, mais dans une autre direction. Des yeux, malgré la distance, il tenta de repérer un homme et il vit un curieux personnage. Vêtu de noir, une chevelure grise et un air fou à lier. Cela le fit sourire. Ce genre de personnes n'étaient souvent pas humaine. Il devait s'agir d'un démon. Malgré ça, Akira devait faire preuve de prudence. Son semblable avait une carrure fine en apparence, mais les apparences sont trompeuses. Il s'approcha, tentant de se faire discret, mais les branchages au sol risquaient de le trahir. Pourquoi était-il si empressé ? Peut-être par curiosité. Savoir ce qu'il faisait là.

Euphorie.
En se rapprochant, il distingua mieux l'autre démon. Ses cheveux cachaient ses yeux, ses mains étaient enfouie dans ses manches larges. Et il portait des bottes talonnées. Le sourire d'Akira ne fit que s'amplifier. Il serait un bon sujet de poésie. Une pulsion lui prit les tripes, l'envie de tuer. Il observait, serein, avec un regard malsain et un rictus de pierre. Brûler la charrette, découper le démon, et le peindre avec son sang. Un frisson lui dévora l'échine. La charrette s'arrêta. Les bêtes qui la tirait avaient l'air exténué. Eux, il ne les tueraient pas. Les chevaux étaient des créatures bien trop noble. Le démon cherchait apparemment du bois, et euphorique, Akira fit un pas en avant. A nouveau une branche craqua, cette fois l'autre l'entendit. Il le vit. Et il posa une question étrange.

- As-tu peur de la mort jeune homme ?

Mort.
Il resta immobile un instant, interloqué par ses mots. Non, la mort ne l'effrayait nullement. Il l'avait côtoyé chaque jour, faisant parfois d'elle une délivrance. Et non un châtiment. Mais la voix froide du démon lui coupa le souffle. Il dégageait vraiment quelque chose d'étrange. Akira avait l'impression qu'il était entouré par des âmes hurlantes. Pour qu'il ressente ça, le curieux bonhomme en face de lui ne devait pas être un démon banal. Une idée lui vint à l'esprit. Vêtu comme il l'était, le sourire assez effrayant, l'aura de mort autour de lui.. Peut-être -sûrement- un nécromant, ou un fossoyeur irrespectueux. L'idée du nécromancien était tout de même plus plausible. Enfin, après avoir réfléchit pendant plusieurs minutes, Akira répondit :

- Non, la mort est ma seconde mère. Elle ne m'effraie pas...

- Salut mec.

Cinq personnes. Ils avaient surgis des bois, tel des spectres, pour venir en travers du sentier. Des vêtements de fourrures, des haches, des fourches, rouillées. Certains avaient des cicatrices purulentes, il manquait souvent des dents, des doigts. Tout ceci dégageait une odeur macabre. Le Peintre referma ses doigts sur son habit, et sur son tableau. Le chef, au milieu, repris la parole.

- Je pense que tu peux nous aider non ?

Et il tendit une main sale, paume ouverte. Le démon se mordit la lèvre, il était démuni. Il ne comprenait absolument pas ce qu'il voulait. Et cinq, ils étaient cinq, cinq. Autant de personnes d'un seul coup, ça faisait 10 yeux, ou plutôt 9 en comptant le borgne. 9 pupilles hargneuses. Scrutant ses mouvements. De quel droit le regardaient-ils ? N'avaient-ils pas assez à faire en cherchant les détails de leur propre être ? Les ongles de l'artistes remontèrent jusqu'à sa bouche, il les mordilla. Ses yeux humides retombèrent sur le chemin de terre. Le vent faisait vibrer les feuillages, lentement. On pouvait les entendre ruisseler.
Larmes.
La nuit les cachaient.
Et une bouche infecte s'approcha de son visage, lui crachant son halène de rage.

- Tu piges pas quand on te parle débile ? Files-nous ton blé ou ça va mal finir !

Il était juste venu ici pour peindre. Rien ni personne, il n'avait rien demandé, rien sollicité, rien dérangé. Pourquoi les vivants tendaient-ils toujours à s'approcher les uns des autres ? Le Peintre avait beau rôder dans les coins les moins visités, il avait beau essayer d'éviter les autres, ces derniers l'emprisonnaient toujours. Dans leurs regards.

- J..Je.. Je n'..n'ai pa..pas de nou..nourriture.

Trembla le démon. Les cinq hommes parurent étonnés par sa réponse, et mécontents, d'après l'air tendus qu'ils tiraient. La main de l'homme à la bouche puante lui agrippa l'épaule. Il le balança. L'artiste bascula, fit quelques mètres à reculons, et tomba au sol. Le brigand hurla :

- TON ARGENT TAS DE FIENTE ! TU NOUS PRENDS POUR DES CONS ?

Ne cherchant pas à se relever, le démon serra son tableau contre lui, comme un nourrisson. Il bredouilla une courte phrase, n'ayant pas le courage d'en dire plus.

- Pa..Pas d'a..argent n..non pl..plus.

Apparemment, le bandit s'apprêtait à lui fracasser la tête, car il levait hostilement sa hache. Mais le chef intervint, lui prenant le bras.

- Arrête, il se pisse dessus tu vois bien ? Il dit la vérité. Mieux vaut ne pas laisser trop de cadavres derrière nous. Choppez son dessin, au moins on repartira pas les mains vides.

Le Peintre écarquilla les yeux lorsqu'il sentit le cadre lui voler des mains. Ses yeux se levèrent désespérément vers l'oeuvre, elle allait à un brigand, puis à un autre. Pourquoi la regardaient-ils ? Ils n'en avaient pas le droit ! Ils n'avaient pas le droit de faire ça ! Lorsque ce fut au tour du chef, ce dernier s'exclama :

- Haha ! Regardez ça, c'est que des points, des traits, des ronds, de toute évidence ce mec sait pas dessiner ! Ça représente quedal ! On dirait un gamin qui s'est amusé avec ses pinceaux, ou un type qui s'est mouché sur une nappe !

Les entrailles de l'artiste devinrent noires. Ses yeux pétillaient de mal. Les dents grinçaient.
Quelques instants passèrent.
Le cadavre du chef remuait, pendu à une large branche. Sa tête ballotait d'une épaule à l'autre avec le froissement des brises. Le démon ramassa la toile, se penchant vers le sol. Et il reprit sa route, laissant derrière lui un funeste paysage. Car lorsque l'on regardait le chemin sombre, menacé de bras de feuilles, la silhouette du pendu sonnait telle une impression étrange. Un danger immobile.

Ses pas le menèrent à un virage, il le prit. C'est alors qu'une large forme s'imposa à lui. On aurait dit une grosse butte de terre. Mais en s'approchant, il y vit une charrette inhabitée. Ne sachant pas où était le propriétaire, et ne cherchant pas à le savoir, il s'intéressa à l'un des chevaux. Le regard de ce dernier, sans qu'il ne sache pourquoi, absorbait le Peintre. Il voulait retranscrire ce qu'il ressentait.

L'artiste saisit sa palette et ses pinceaux.

Surprise.
Il n'en revenait pas. Ce n'était rien pour n'importe quel être vivant, mais Akira ignorait comment on pouvait être aussi vif, parler autant en si peu de temps, et se mélanger dans plusieurs conversations. Sur un point, il eut raison, son interlocuteur était bien un nécromancien, sinon, comment aurait-il pu parler avec cette Lady Korês, qui au passage, désirait la mort d'Akira. Ce Jack lui proposa plusieurs choses, que le démon refusa par un silence de plomb. Toujours surpris par l'attitude de Jack, il eut à nouveau du mal à prononcer un traître mot. Il détestait être aborder de la sorte, mais c'était sa faute. Il aurait du être plus discret. Intérieurement, Akira se maudissait. Maintenant, appart fuir -et passer pour un lâche- ou rester et attendre que Jack en eut assez de son silence, il n'avait plus vraiment le choix.

Résignation.
Pourtant, malgré sa gêne et sa fine colère, Akira était intrigué. La nécromancie était un art qu'il avait souvent voulu apprendre. Mais, il n'était pas fait pour voir des cadavres marcher, lui, il les voulait au sol, recouvert de pétales de lys, ou entouré par des blocs de marbres marqués de sang. La nécromancie aurait pu être poétique, mais.. Enfin, ce n'était pas là le plus important. N'étant pas un démon très civilisé, Akira se demanda si à son tour il devait se présenter en donnant son nom. C'était dangereux. Qui disait que Jack n'était pas un espion, à la solde du royaume ? Oui, Akira était réellement traqué dans tous les recoins. Mais tout de même, un espion ne se comporterait pas ainsi. Et cela l'aurait étonné qu'il engage un nécromant certainement un peu dérangé -Akira l'était aussi d'ailleurs-. Alors, résigné, il maugréa :

- Je suis Akira, dernier des Satetsu..

Méfiance.
Le nom de son clan avait failli buter dans sa gorge. Mais finalement, il réussit à le prononcer sans exprimer son dégout. Il se méfiait en cet instant. Repensant à la dernière phrase de Jack, lors de sa courte discussion avec la femme morte... Nous ne pouvons pas tuer ce beau jeune homme comme ça ma chère amie. Tout vient à point à qui sait attendre. Akira n'en était pas sûr, mais en passant dans une auberge, avant de décimer les gens qu'elle contenait, il avait entendu parler d'une sorte de marionnettiste, utilisant des pantins de chaire. Jack songeait peut-être à grossir ses rangs avec Akira, et qui sait la puissance magique d'un nécromant ? Le démon devrait faire preuve d'une grande prudence et se tenir prêt au cas où.

Envie.
Akira fut frappé par une étrange sensation. Comme une présence, mais bien différente de la présence de Jack où d'un animal aux alentours. Le démon était très sensible aux auras triste, ou artistique. Et celle qu'il sentait était tout à la fois. Oubliant tout ce qu'il venait de se dire, il chercha d'où venait cette aura. Il fut tenté de s'engouffrer dans la forêt, quand il comprit que ne s'y trouvait que la trace de la personne qu'il cherchait. Elle était passé par ici donc, mais pas sans rien faire, crut comprendre Akira en apercevant une sorte de silhouette pendu. Il eut un frisson. Macabre. Une euphorie s'empara à nouveau de lui. Son désir de voir la personne fut plus grand. En fait, elle était tout prêt. Juste à côté des deux chevaux qui se remettaient d'une longue traversée. Un démon. Un démon poétique rien que par le regard qu'il possédait. Apparemment, il peignait.

*Du bleu. Une pointe de bleu. Il en faut une pointe, de bleu. En haut. Et le noir qui tapisse l'ensemble de sa luisance malsaine.
La peinture a toujours un volume, un petit volume, une couche qui réagira en fonction de la lumière. Ces vagues de couleur, il faut jouer dessus. Là, la scène est bien loin d'être fade et constante, les couches doivent être irrégulières. Du rouge, délavé.*

De son bras habile, le peintre peignait. Absorbé par son art. Un être sensible comme lui pourrait y voir toutes les sensations et toute la puissance de son ressentis face au regard du cheval, lorsque l'oeuvre sera terminé. Mais elle n'en était qu'à son début. Elle exprimait simplement la sensation extérieure. La nuit, les arbres menaçant, la force des ténèbres et la peur. On voyait des ronds inachevés, des aplats de couleurs avec des agencements curieux. Quelques points, des traits virevoltants en courbes et disparaissant dans une bordure noire. A certains endroits apparaissaient les empreintes des poils du pinceaux, à d'autres, elles étaient si invisible qu'on croirait que ce fut la couleur naturelle de la toile. Le tout n'avait aucun sens pour un simple humain, démuni du regard qui voit. La plupart des êtres resteraient aveugles devant l'œuvre. Certains n'y voyant que la superposition illogique de formes, et critiquant l'orgueil d'appeler ça "art". D'autres croyant comprendre l'artiste, et se projeter en lui, et en émettant des hypothèses stupides basées sur les formes et les couleurs, croyant discerner une énigme dans l'abstraction qui cacherait quelque chose qui ne serait pas abstrait : Ceux là diraient par exemple "J'y vois un taureau" ou bien encore "on dirait deux personnes qui froncent les sourcils". Seuls les êtres vraiment artistes y verraient toute la profondeur qui se cache dans la construction du tableau. Pour l'instant, un œil vrai dirait : "J'y vois de la peur, de l'angoisse et de l'oppression. Et en même temps une beauté malsaine se cachant derrière des ténèbres omniprésents". Voilà la réelle interprétation dont il fallait se rapprocher.

Débordant d'une inspiration qui semblait être divine, le démon poussait des petits jappements. Ses membres sursautaient à chaque dépôt de peinture, comme s'il était lui-même surpris par l'évolution de l'œuvre. Des petits bruits étranges, parfois rauques, se mouvaient dans son corps. Toutes les fibres de son essence se tenaient accaparées par la force des couleurs.

Le Peintre était joyeux. Mais son sourire tomba soudain, quand il sentit la présence dans son dos.

Peur, terreur. Les émotions retranscrites sur le tableau, mais éprouvées au centuple. Qui était derrière ? Est-ce qu'il l'a vu ? Est-ce qu'il a regardé ? Comment se comporter ? Que faire ? Se moquait-il de lui ? L'admirait-il ? Quelle était la conduite attendue ? Comment faire pour ne pas le décevoir ? Son attente serait-elle prise pour un manque de politesse ?

L'artiste ramena ses mains à sa bouche. Il mordilla ses lèvres. Tremblant en essayant de le cacher un peu, il tenta de regarder l'homme derrière. Il jeta un bref coup d'œil et son regard retomba par terre. D'après ce qu'il avait vu, l'être qui était à ses côtés semblait heureux, excité, un peu dément, mais pas moqueur. Sans oser relever ses yeux sur le visage de l'homme, il bredouilla, en guise de salut :

- Bon..Bonjou.. euh.. Bonsoi.. N..non euh.. Bon..Bonne n..nuit ?

Spoiler:

Il n'en revenait pas. Son regard de givre ne s'était même pas encore posé sur l'œuvre, qu'il était déjà tétanisé par un sentiment étrange. Le sentiment qu'il n'avait encore jamais ressenti. L'intimidation. Et pourtant, l'artiste ne semblait pas à l'aise après avoir aperçu le nécromant. Son visage s'était comme voilé d'une multitudes de sentiments mélangés, entre la peur, et la timidité. Normalement, Akira aurait du être confiant. L'art faisait partie de sa vie, de son être, de son passé. Mais la peinture.. Rien n'avait de sens dans son esprit. Il n'avait pas vraiment vu beaucoup de toiles, en tout cas, pas de peintre réellement attiré par l'art, dans toute les formes qu'il soit. Là, rien que les yeux globuleux de ce démon exprimait, l'Art. C'était irréel. Le peintre ne l'avait pas vu, il s'était juste adressé à Jack, en bégayant. Cela ne faisait que confirmer la première approche d'Akira. Des centaines de questions lui assaillirent les pensées. Pourquoi donc avait-il si peur de lever les yeux ? Pudeur ? Peur ? Orgueil ? Tant de réponses possibles. Ses tempes se mirent à tambouriner contre son crâne. Ses sourcils se froncèrent plus qu'ils ne l'étaient déjà.

Une envie irrésistible le saisit, alors que sa propre voix résonnait dans sa tête, posant plus de questions qu'il ne faudrait. Regarder l'œuvre. Certainement inachevé, le démon était arrivé il y a peu de temps. Akira savait que lorsque l'on exprime son art, il faut du temps. L'art demande du temps. Mais celui d'Akira n'en demandait pas beaucoup. Du moins, les premiers coups de pinceaux, pour donner une expression de circonstances. Le jeune manieur de sabre savait dessiner. Cela différait de la peinture, certes, mais les deux allaient ensemble parfois. Il espéra réussir à comprendre ce que le peintre avait voulu exprimer sur sa toile. Sa respiration s'amplifia, elle eut des ratés, produisant parfois des sons graves, provenant de sa gorge.

L'excitation était à son comble. Akira en aurait presque sautillait, même glapis comme un animal. Pour tenter de s'apaiser et ne pas partir dans une folie meurtrière, il fourra sa main dans sa sacoche et dénicha un fusain usé. Très court, il grava une forme étrange sur le côté de la charrette où il était adossé. Laissant juste parler le chant qui résonnait dans sa tête. Il l'entendait bien trop souvent. Mais il tenta de le retranscrire sur le bois. Jack aurait un souvenir du démon qu'il imaginait futur marionnette, mais qu'il n'aurait jamais.. Plus ou moins calme, le démon ferma les yeux. Se remémorant le regard de ce peintre et ses gestes, bercé par le chant, son corps cessa enfin de se convulser sous l'effet de l'euphorie qui n'arrêtait pas de faire des allers-retours.

Sûr de lui, il se posta d'une démarche lente non loin de Jack et du mystérieux démon peintre. Malgré la distance, il la vit. La toile. Son esprit partit dans un kaléidoscope de couleurs délavés, de formes hurlant de terreur. Il vit une forme presque humaine, ressemblant à l'incarnation de la faucheuse. Mais ce n'était pas la mort, non. Sa cousine. La peur. Ses pensées imagés déraillaient. Il n'était plus sur Feleth, ni le Vein, si le monde du dessus. Il était hors du temps, hors de la vie, hors de la mort. Entre le néant et la terre, perdu, égaré dans les couleurs du tableau. Oubliant jusqu'à son nom, rien ne pouvait le tirer de ses songes apocalyptiques, toujours accompagné par les cris, et le chant. Le glas de la passion, de l'art, et au fond, d'une certaine sagesse.

Mais, au fil des minutes qui se bousculaient, Akira réalisa où il était. Il se rappela petit à petit Feleth, la forêt des amanites. Sa rencontre avec Jack, le pendu au fond de la forêt et ce peintre, toujours devant, à côté du nécromant. Il repensa avec mélancolie à ce fluide de sensations qu'il venait de ressentir et fut pris d'une tristesse sans bornes. Tous ces moments.. éphémères, et cruels. Se concentrant un peu plus sur l'artiste que sur sa toile, il se rendit compte qu'il dégageait quelque chose d'étrange. Son visage paraissait innocent, mais au fond, Akira sourit de manière malsaine à l'imaginer saisit d'une démence, prêt à tuer quiconque oserait poser son doigts sale sur ses œuvres. Étrangement, il ne l'imagina pas mort. Il était déjà un poème macabre à lui seul, bien vivant. Mais à la fois, son regard était mort dans un coin. Akira ne sut que dire pour essayer tant bien que mal de lui exprimer son respect et son admiration.. Il se contenta d'une simple et courte phrase :

- C'est une belle nuit pour peindre, n'est-ce pas ?

[Veuillez m'excuser pour la lenteur accablante de ma réponse, les bacs blancs sont les circonstances atténuantes que je vais plaider au tribunal des RPistes.]

L'homme.. L'homme ? Sans doute. L'homme ne réagit pas trop mal. Cela mit le Peintre en confiance, mais il garda tout de même ses mains devant sa bouche. Ce curieux personnage débitait un flot de parole assourdissant, il révéla s'appeler Jack d'Enfer, et beaucoup d'autres choses en réalité, tant que le démon ne se souvenait plus du début de son monologue quand il eut fini. Fini par des cris enflammés. Cris assez comiques au demeurant, car le Peintre sourit et lâcha un bref

- Haha !

pur et innocent, là bas derrière ses doigts. Mais ce que l'artiste n'avait pas bien saisit, c'est qu'il y avait vraiment une deuxième présence. Ici bas. Entre les arbres. Il avait compris ce que Jack lui avait dit, mais il n'avait pas réalisé ce que ça impliquait. Deux personnes. Apparemment, le deuxième s'appellerait Akira. Il n'était pas encore là, pas encore juste devant, pas assez pour que l'artiste le voit. Il fallait se souvenir de son nom, se souvenir, pour ne pas passer pour un malpoli.


*Akira, Akira, Akira, Akira, Akira, Akira et Jack, Akira et Jack, Jack et Akira. Akira, dernier des Satetsu.*

Se ressassait-il. Mais ça y est, le deuxième homme était apparu. Il s'apprêtait, plein de courage à le saluer. Tel un gentilhomme plein de confiance et de grandeur. Tel une haute puissance, mais humble, car saluant ses sujets en les appelant par leur noms. Tel un être qui parle aux autres.
Hélas il fut interrompu par Jack qui demanda :

- Et à qui avons-nous, l’honneur ?

C'est alors que la préparation du Peintre s'avéra efficace, car il sortit, du tac au tac, sans même bafouiller :

- Akira, le dernier des Satetsu !

Puis il se rendit compte de son erreur. Ceci n'était pas son nom, mais celui d'un autre. Lequel des deux ? Il l'avait maintenant oublié. Les larmes lui montèrent aux yeux, c'était trop dur pour lui tout cela. Pourquoi demander à un être d'autant communiquer avec les autres ? Le Peintre, lui, il n'avait jamais rien exigé d'autrui, ni faveurs, ni honneurs, ni richesses, ni rien. Mais il passa au dessus de tout ça, il fallait qu'il se corrige.

- N..Non.. J..Je. N..Non. Euh.. Je s..suis L..Le P..P..Peintre.

Réussit-il à prononcer dans un élan de courage. Vint alors la question du deuxième, qui regardait son oeuvre d'un air envouté. Un regard si absorbé, si enthousiasmé dans un torrent de sentiments, que le démon comprit, qu'il était en face d'un artiste, et ce au premier instant qu'il entrevit son visage.

- C'est une belle nuit pour peindre, n'est-ce pas ?

Le Peintre acquiesça en son fort intérieur. C'était vrai. Mais c'était si peu comparé aux milliers d'émotions que semblait éprouver le jeune Akira, que le bredouilleur ne bredouilla pas sur la question. Ce dernier voulait aborder un sujet plus approprié. Jack s'était quelque peut écarté, mais le démon aux tableaux réussit tout de même à le regarder. Dans son regard. Oui, lui aussi. Lui aussi était enfant d'art et de création.
Il pouvait alors aborder un sujet qui les rapprochait intimement tous les trois. Une question qu'il s'était posé une quasi-infinité de fois, sans jamais se souvenir de la réponse qu'il y apportait :

- Qu..Quelle es..est l'utilité d..de l'art ? Pou..Pourquoi créer ? Vous s..savez v..vous ?

Il ne prêtait attention à rien.
Seule la réponse donné par ce troisième démon importait. Et en réalité, il n'eut pas de réponse. Mais une autre question. Bien qu'il n'eut guère apprécié cela, rien ne put entamer sa fascination et sa concentration. A force de penser, il n'avait même pas entendu la question. Si, il l'avait entendu mais ne l'avait pas écouté. Celui qui se faisait appeler Le Peintre bredouillait à chacune de ses phrases. Lui faire répéter lui paraitrait peut-être être une moquerie, une façon de l'humilier. Mais Akira ne parvenait pas à se souvenir de la question. Il tenta de fouiller éperdument dans sa mémoire, et finalement, il saisit le squelette des paroles. La question du Peintre fut plus longue, mais les quelque mots dont disposé Akira seraient suffisant. Peut-être que ces mots étaient une partie de sa question. Pourquoi créer ?

C'était une excellente question. Pour un humain, la réponse aurait très simple. Parce que l'art donne un sens à la vie. Mais que faire quand la vie ne peut avoir de sens ? Non, Akira ne pensait pas ainsi. Pour lui, rien que la création du Vein était artistique. Pour les humains, Feleth pouvait être artistique. Mais le Vein.. Une splendide œuvre d'art. Nulle ne pourrait le faire changer d'avis. Mais pourquoi créer ? Pour se distraire ? Parce que c'est un appel de l'esprit ? Le démon savait ce qu'il voulait répondre, mais il ne trouvait pas ses mots. Il n'y avait pas de créateurs. Beaucoup de monde avait des croyances, mais les Dieux n'existaient pas. C'était certain. Donc, le fait de dire que le Chaos était le père de tout n'était pas chose à dire. Le Chaos, le Néant, les Ténèbres, cela revenait au même. Et c'était entre autre cela, qui avait crée le Vein. Mais ce n'était pas une personne.

Akira s'embrouillait dans son esprit. Le chaos n'était pas grand chose pour lui, mais il cherchait toutes les réponses possibles. Finalement, il ne savait que dire. Puis, une sorte de déclic s'enclencha dans sa tête. Il cessa de réfléchir et laissa sortir les quelque mots qui voulaient bien se formuler.

- Mais qu'est-ce qui peut bien être utile... appart l'art ?

Oui. Autour de quoi tourner le monde ? Quelles étaient ses raisons d'exister ? Dans un sens, c'était vrai. L'art donnait un sens à toutes les choses qu'il touchait. Même la vie. Même la mort...

Spoiler: