Le bruit distinct de trois lames fendant l’air. Une lacération. Profonde, suivit d’une déviation vers la droite. D’un mouvement gracieux, l’arme revint en décrivant un demi-cercle vers le bas. Seconde lacération, toute aussi profonde. L’écorce du noyer mort éclata sous la pression du coup. D’un autre mouvement gracieux, l’arme revint en décrivant un demi-cercle vers le haut. Troisième lacération. Les lames continuèrent leurs trajectoires jusqu'à leur pleine extension, et Samellis tira sur la chaine d’un coup sec.

Un inconnu aurait croisé le chemin du guerrier à ce moment qu’il put croire que celui-ci allait s’empaler sur sa propre arme. Jugement erroné, car l’arme reprit sa position habituelle, à la taille , dans un fourreau créé sur mesure. Samellis replaça une de ses mèches qui encombrait sa vision, et sourit. Un léger entrainement suffisait à le rassurer de son efficacité avec le Taneltor. Pas qu’il n’aimait se battre, au contraire, mais dans un monde aussi troublé, ou la violence est souvent le seul moyen de pouvoir se sortir de situations fâcheuses, savoir manier une arme à la perfection est loin d’être superflu.

Il s’assit. Il observa.

Le paysage était magnifique. Samellis était au sommet d’une colline, d’où trônaient un arbre mort, un noyer. Ses branches formaient une sorte de dôme entremêlé, et même décédé il gardait son prestige. Une multitude d’insectes nichaient à l’intérieur du tronc, heureux d’avoir un habitat comme celui-ci.

De son point de vue, l’on pouvait seulement voir le haut des petits monts comme le sien, car une brume épaisse collait au sol. Mais à son altitude, le soleil aspergeait le tout, rendant la vision féerique.

~Comment peut-on ne pas se sentir comblé par cette beauté qu’est la nature? Elle m’emplit d’une telle force énergétique…

Samellis ouvrit un sac attaché à son foulard, et en sortit une pomme luisante. Il croqua dedans, et savoura le nectar. Sucré à souhait. De quoi lui redonner de l’énergie pour continuer son voyage. Jetant un regard dans son sac il prit une autre bouché. Une, deux pommes, une poire, un, deux, trois concombres, une ration sèche. Il lui faudrait bientôt s’arrêter dans une bourgade pour refaire le plein de provisions.

Quand il eut terminé avec son fruit, Samellis se leva, jeta un dernier coup d’œil à la magnifique vue, et entreprit de descendre la colline d’un pas assuré, se dirigeant directement dans la brume.

Accepter de voyager avec ce vieillard était une erreur. Il n’arrêtait pas de marmonner ou de chanter. Et si Assen ne répondait pas assez vite à son gout, il fit balancer son bâton pour finir par l’écraser sur la tête du jeune.

« Yuohohohoho… Une sacré brume qu’on a là. Les trolls des collines ont lâché une grosse caisse yuohohohoho ! »

Il faillit tomber de son chariot en rigolant.

« Tu dors bien trop pour ton âge gamin ! Yuohoho »

Pourtant il ne dormait pas, il faisait semblant. Il ne voulait pas parler avec ce vieux sénile et encore moins l’écouter. Mais là, il ne pouvait rien y faire. Il avait beau foutre de la paille dans ses oreilles… Il entendait toujours ce fameux rire qui le dérangeait au plus haut point. Cela faisait qu’un jour qu’ils étaient en route. Et si le vieillard disait vrai, ils en avaient encore pour quelques jours. Des jours remplis de chansons, d’histoires, de paille dans les oreilles et de coups de bâton sur la tête. Génial.
Pour répondre au énième coup, le jeune homme grommela. Il commençait à avoir mal aux fesses. Rester assis aussi longtemps sur la même place n’était pas dans ses habitudes.

« How how hooow (pour arrêter les cheveux hein)… On va s’arrêter ici pour la nuit gamin ! »

Ils s’étaient arrêtés au milieu de la brume. Impossible de voir ce qu’il se passait à quelques pas de soi. Sans se poser de questions, le jeune partit chercher du bois – ou autres objets – pour le feu. Bizarrement il y avait de quoi faire une petite pile. Quand il revint vers le chariot – non sans avoir tourné en rond dans la brume sans rien voir – il y vit le vieux préparer sa soupe aux choux…

« Je ne mangerai plus jamais de choux après ce voyage… Plus jamais… »

Depuis qu’ils étaient partis, ils n’avaient mangé que ça. Selon le vieux, c’était bien pour l’esprit. N’importe quoi ! Il voulait juste se débarrasser de ses choux avant qu’ils pourrissent oui. Mais il n’avait pas le choix. C’était ça… ou rien.
Pendant qu’ils préparaient le repas et maintenaient le feu, ils entendirent des pas se rapprocher d’eux. Et alors que le jeune empoigna directement son couteau, le vieux continuait à remuer dans sa marmite.

« Que diriez-vous de vous joindre à nous, inconnu. Yuohohooo. Sert lui un bol gamin. »

C’était bien dans le genre du vieux ça. Il n’invitait pas les gens à diner avec lui, non. Il les obligeait. De la soupe aux choux, qui oserait dire non à ça ! Franchement…
Entre temps, le jeune s’arrache les bras pour ne pas étrangler le vieillard. Depuis quand il était une bonne femme, bonne à servir de la soupe aux pauvres voyageurs, voir bandits ?

Samellis marchait depuis bientôt deux heures. L’herbe verdoyante de la prairie craquait sous ses pieds, et des fois Il ne voyait rien à quelque mètre devant, mais avait la certitude qu’il fallait avancer dans cette direction. Depuis qu’il avait emprunté la voie du guerrier spirituel, jamais son instinct ne l’avait trahi. Il ressentait l’univers, et celui-ci lui rendait la pareille. Rarement il avait besoin de faire des plans pour le futur, Le monde des possibilités s’ouvrait à lui, et il faisait que l’emprunter. Tant qu’il gardait la foi en sa quête.Tant qu’il croyait au bien absolu.

Mais il ne pouvait ne pas avoir de pensées pour sa famille. Les cheveux blonds de Mattéo, ses yeux vert tiré vers ceux de sa mère. Et surtout, sa vive intelligence, qu’il utilisait à un excellent escient et avec sagesse. Un jour, son fils lui avait dit : «Papa, je crois que si le mal existe en ce monde, ce n’est pas parce que les gens sont fondamentalement méchants, mais bien parce qu’ils ont été désabusé de leur vie. Tout le monde ne peut pas nécessairement réussir à affronter la réalité. Être mauvais, ce n’est seulement qu’un mécanisme de défense, une façon de s’échapper…».

Samellis avait été surpris du sérieux des paroles de Mattéo, mais surtout fier. Il y avait encore une forme de naïveté dans ses paroles, mais c’était un début. Un merveilleux début.

Et sa femme…Sa magnifique femme. Érrelma . Son visage angélique aux formes parfaites, sa gentillesse et sa douceur, la chaleur de ses lèvres. Mais tout deux avaient compris et accepté sa destinée. L’amour comprenait toute cause juste.

Des bribes de paroles le tirèrent hors de sa rêverie. Une lueur dans le brouillard était perceptible. Un feu de camps, et des gens était assis autour. Ils discutaient. Samellis avança prudemment. Cela pourrait être des détrousseurs, ou pire encore… Le guerrier spirituel arriva à vue, personne ne le vit. Il y avait un vieillard, et deux hommes. Un cheval broutait tranquillement à leurs coté. Samellis sonda leur énergie (pouvoir spécial), Celle du vieillard et d'un des hommes était bleue, ce qui voulait dire qu’ils n’étaient pas hostiles. Mais celle de celui restant, était plus troublé, et même difficilement perceptible, ce qui était étrange. Samellis devrait être plus prudent quant à celui-ci.

«Bonjour à vous, voyageurs. Puis-je me joindre à votre bivouac en cette fin de soirée?»

Le vieillard continuait a sauté en rond au tour de sa marmite. Très content d’avoir des invités pour cette soirée, comment ne pas les obliger à manger de la bonne soupe aux choux. Alors qu’il remuait encore et encore le potage, il sortit trois bols de sous ses vêtements. Les remplis tous les trois et en jeta deux vers les deux jeunes (ou plus si jeune que ça… Pour le syrinx). Leur laissant à peine le temps de remonter les bras pour attraper le bol. Comme ça, le vieillard était sûr qu’ils allaient la manger, sa soupe. C’était soit ça, soit la recevoir en pleine tête. Pour Assen le choix était vite fait. Il n’avait pas eu le reflex le premier soir… Ses vêtements puaient encore toujours le chou.

Alors que tout le monde attaqua avec plein d’enthousiasme (ou pas) son repas, un second ‘invité’ fit son entrée en scène. Il en fallait peu pour que le papi de se remette à danser au tour de sa marmite. Et comme par magie il sortit un quatrième bol de sous sa veste et la balança vers le nouveau venu. Alors qu’il se remettait à nouveau sur sa place, il marmonnait dans sa barbe. S’il avait su qu’il y aurait tant d’invités il aurait sorti son ingrédient spécial. Quel dommage… Mais peut-être qu’il pourrait se rattraper pour le petit-déjeuner de demain.

Aucun des deux voyageurs – vieillard et Assen – ne s’étaient présenté. Ni à Vaëlk, ni au nouveau venu. Et ils comptaient bien garder ça comme ça. Certainement pas pour les mêmes raisons. Mais alors que l’un ne se souvenait plus de son nom, l’autre aurait préféré rester discret et ‘anonyme’. Même s’il y avait peu de chances à ce que l’un des deux ‘invités’ était eux aussi des rebelles.

Comme les deux n’avaient pas l’air très hostiles, le jeune Assen rangea son couteau. Pas trop loin, mais quand même à ce qu’on ne le voit plus. Rester assis avec son couteau en main, en mangeant de la soupe… Il passait pour un fou complet. Et puis il avait l’impression qu’on le regardait bizarrement. Ce qui n’était surement pas du tout le cas. Mais il était devenu parano depuis quelques jours. Ça devait être la barbe… Elle lui grattait à tel point. C’était insupportable.

Ayant terminé sa soupe, le vieux rebondit sur ses pieds et reprit un peu de soupe. Demandant aux autres si ils en voulaient encore. Il était persuadé que c’était grâce à ses choux qu’il était devenu si vieux… Mais en réalité il avait oublié le pourquoi du comment. Tout comme son âge.

« Que faites-vous dans cette partie des plaines ? D’habitude on n’y trouve que des brigands et des moutons perdus dans les collines, yuohoho. Déjà vu des moutons dans les parages ? »

Le jeune homme ne s’attendait pas à ce qu’on lui pose des questions. Jusqu’ici il n’avait pas encore parlé et il avait espéré garder ça comme ça.

« Et en quoi cela t’intéresse, hein ? »

Sa voix était un peu bizarre a force de ne plus parler. Il toussa un bon coup et était prêt à répondre si jamais on lui posait encore d’autres réponses… Auxquels il ne comptait jamais répondre pour de vrai. Ça, c’était sans compter sur le papi qui l’accompagnait. Pour son plus grand agacement il recommença à yohoho-er, avant de répondre lui aussi à la question. Qui ne lui était pas destiner d’ailleurs.

« Voyons… Un peu de manières gamin ! Yohohohoho ! On est en route vers Venill. Le marché aux légumes n’en est pas un sans marchand de choux. Yohohoho… »

Voilà qu’on allait le prendre pour un marchand de choux lui aussi. Ce qui lui arrangeait plutôt bien finalement. Tout était mieux qu’un « oh ben écoutez, je vais à une réunion. Les rebelles, vous connaissez ? » Puis, on s’en foutait pas mal finalement si il allait à Venill ou ailleurs. Ce n’est pas comme ci ils allaient se croiser là. Surtout qu’il allait à Beolan l’autre.

« Et quel vent vous mène à Beolan, petit ? Serez-vous magicien ? Où juste amateur de la belle vue qu’on a depuis le bord de la falaise ? Ça fait un petit moment que je me dis que je devrais y retourner… »

Le vieux commença à blablater dans sa barbe. Perdu dans ses pensées poussiéreuses qui devaient dater d’il y a quelques dizaines d’années. Bref, on était tranquille pour un moment.
L’autre ‘invité’ avait lui aussi un peu quitter leur monde, perdu dans ses pensées. Ca changeait de son discours de là tantôt. Discours qu’Assen n’avait pas écouté. Il laissait les bonnes manières au vieillard. Qui écoutait pour deux et répondait pour dix. Pour faire passer le temps, l’herboriste se remit à gratter sa barbe. Il ne s’y habituera vraiment jamais.