C’était un de ces matins où tout semble figé, comme si dans un doux soupir, le temps avait suspendu son vol, confinant la vie qui animait d’ordinaire la cité à cette heure bien matinale sous une torpeur étrangement silencieuse mais néanmoins confortable. L’ambiance paisible n’était troublée que par le joli chant des merles qui berçaient la cité léthargique de leurs douces complaintes.

S’y ajoutaient, presque inaudibles, les pas rapides d’un marcheur solitaire, premier voyageur à pénétrer la ville en ce jour tranquille. Habillé de vêtements de voyage sobres et revêtu d’une cape de fourrure d’un noir de jais, il allait de bon train, se dirigeant d’un pas assuré vers une destination connue de lui seul. Il semblait distant, probablement perdu dans quelque rêverie complexe, fixant d’un regard vide les ruelles qui se dressaient tour à tour devant lui.

Cet homme, ce voyageur éreinté, n’était pas étranger à ces hautes maisons et à ces profondes allées, non; cette journée n’était pas le théâtre d’une quelconque arrivée à destination mais plutôt le tant attendu retour au foyer après un voyage qui avait duré beaucoup, beaucoup trop longtemps. Et il ne serait point mensonge que de dire que la ville le connaissait aussi, sous plusieurs noms et identités, certes, mais elle le connaissait. Les échos des sombres complots qui s’étaient lentement noués, dénoués et renoués sous ses mains résonnaient encore de leurs chants immatériels, imprégnant les murs telle une pourriture particulièrement tenace.

Cette silhouette aux allures efféminées avait un nom, un nom que les nobles des plus hautes sphères ne prononçaient que du bout des lèvres, et encore. «Daenerys, Daenerys Tehk». Ancienne oreille du roi Kaull, propriétaire de dizaines de maisons closes réparties à travers diverses villes, et surtout, surtout, collecteur des secret les mieux gardés de chaque citoyen qui, d’une façon ou d’une autre, avait la moindre importance à ses yeux. Disparu de la vie mondaine peu avant la mort du tyran, les autorités le considéraient officiellement comme mort, mais tous savaient qu’il n’en était rien.

Les pas se firent plus lent, le souffle, impatient. Il était de retour, enfin. La Nymphe Aux Milles Tentations, sa plus prestigieuse maison close et, par le fait même, son quartier général, se dressait devant lui, belle et gracieuse sous les timides rayons du soleil qui commençaient à peine à réchauffer ses murs de pierre. Daenerys prit un temps d’arrêt, posa délicatement la main sur la poignée et pénétra la demeure. Le grand salon central était presque vide, à l’exception de quelques courtisanes qui somnolaient sur de grands divans de satin. Les autres devaient dormir d’un sommeil bien mérité dans une des nombreuses chambres que comportait l’endroit.

Mais tout n’était pas au goût de Daenerys, non. Ce temps qu’il avait passé à faire le point sur sa vie et ses buts dans les derniers mois avait été désastreux pour son entreprise première, la collecte d’information. Il était impatient de mettre la main sur les nouveaux potins de la cour, pour ensuite creuser et en déterrer les racines pourries qu’il utiliserait à son avantage. Il n’avait pas de plan précis en tête : le temps était à la reconstruction.

Traversant une porte cachée derrière une draperie de soie presque invisible aux yeux non-initiés, Daenerys monta quelques marches et s’arrêta face à une autre porte, cette fois ci barrée à clé. D’un geste sec, il ouvrit une de  ses nombreuses bourses et en retira un petit objet métallique qu’il inséra dans la fente appropriée. Appuyant avec précaution sur le panneau de bois ouvragé, il pénétra pour la première fois depuis nombre de mois dans son bureau. Constatant avec satisfaction que nul autre y avait mis les pieds en son absence, poussière épaisse à l’appui, il balaya du revers de la main sa surface de travail. L’homme aux milles visage ouvrit tranquillement les volets, inondant la pièce sombre d’une douce et agréable lumière. Un sourire naquit à la commissure de ses lèvres, pour se transmettre au reste de son visage normalement si froid.

Il était de retour, prêt à réaffirmer son emprise sur les secrets les plus sombres enfouis dans les tombes les plus profondes, propriété des hommes les plus influents.

Ainsi, dans l’air toujours aussi glacial, au son discret de Madorass la Grande s’éveillant, il savoura sa liberté toute récente pour à peine quelques instants.

Il y avait du pain sur la planche. Mais qu’importe, puisque après tout, qu’il faisait bon d’être à nouveau son propre et unique maitre.

Citoyens de Feleth, j’espère que vous avez profité du temps de répit accordé. Cachez vos secrets tant que vous le pouvez encore. Car bientôt, ils seront miens…