« Une fois de plus ? »

Une question ne demande pas toujours de réponse, le plus important, parfois, est le désaccord qu'elle suggère à son destinataire. Il ne suffit pas alors de répondre mais de faire sentir tout le poids de sa détermination.

« Et que veux tu ? Tu penses que nous pouvons le garder alors que nous n'avons pas les moyens d'en élever d'autres ? »

Certains trouverons la subtilité de répondre par une autre question. Il se produit alors une alchimie surprenante dans l'esprit de la première personne. Elle doit répondre à sa question et se prouver qu'elle a tort. De fait, elle oublie toute question. Elle agit sans réfléchir ou en pensant avoir réfléchi. Pire ? Non, l'esprit est dur et s'amuse des incompréhensions. Il nous faut alors être intransigeant.

« Très bien, je l'apporterai demain à l'autel du solstice, Dieu nous livrera sa miséricorde. »

Cette femme s'est elle rendu compte de son acte ? A t-elle douté face à la lâcheté de son crime ? La fuite vers la religion peut être une réponse pour certains. Pour d'autres elle n'est que la simple évidence que l'homme est faible et instable. Cette preuve est d'autant plus efficace que le crie de cette femme a été entendu. Que ce bébé, à l'image de sa naissance, ne vivra que dans l'humiliation constante de ses proches, l'abnégation la plus complète. Il souffrira d'avoir souffert car il se souviendra toujours de cette torture. L'homme est vil, la nature est injuste. Ce mariage dangereux a connu sa nuit de noce ce jour là.
Une enfance triste pour récompenser cet être d'avoir vécu. On lui fait désirer la mort pour mieux en détruire la vie. Qu'elle force empêchait le fil de sa vie de se rompre ? Pourquoi Atropos ne l'a-t-elle pas coupée ? Il faut croire qu'une puissance mystique le guidait : le courage. Voilà la réponse universelle à toutes les interrogations. Le courage. Protégé par ce rempart psychique il pouvait s'incliner, mais jamais se coucher.
Il apprit à vivre avec cet unique moteur, à s'affranchir des plaintes pour éviter la douleur. Et après tout, qui l'aurait écouté ? La solitude peut-être. Compagnon de fortune qui accable les opprimés, ronge les malades et aveugle les hommes d'états. L'homme qui se construit seul connait les méandres du désespoir et les accepte, parce qu'il est plus facile de vivre avec la douleur plutôt que de la recevoir éternellement. Car dans les moments de peine, le temps n'est jamais trop long. Il sait s'étirer dans l'esprit de l'homme, jusqu'au jour où l'on espère qu'il cèdera à force de s'étendre.
Finalement, un clan a un jour recueilli notre homme. Leur guide était le dieu du solstice, et cet homme fut doté d'un patronyme en l'honneur de ce dieu. Le destin est cruel. Il portait désormais le fer rouge d'un tyran invisible, il l'entendait chaque jour : Astryl.







Une pensée pour une idée. C'est tout ce qui restait à Astryl. Il priait tout le temps, sa vie était rythmée par les soumissions dû à l'être supérieur. Il vivait pour ce dieu qui avait voulu sa mort. En fait, le miracle tant souhaité allait bientôt se produire. Astryl se rendait au temple de la divinité du solstice pour une nouvelle prière, seul cette fois, enfin il pensait l'être.

« Il est unique n'est-ce pas ? » questionna un homme, qui semblait être un voyageur, derrière lui.

« Il est unique parce qu'il est puissant. Il est unique parce qu'il est bon. Il est unique car c'est notre dieu. »

Trois pas résonnèrent dans le temple, le voyageur était maintenant debout, à coté d'Astryl.

« En fait, il est unique parce qu'il t'appartient. Ce dieu, tu le possèdes tout autant qu'il te possède. Ce rapport étroit qui vous lie est plus fort que la réalité elle même. Ton destin est intimement lié à lui, car il contrôle tes actions plus que tu ne le pourras jamais. Il est ta faiblesse et ta force, capable de changer ta vie sans jamais l'avoir souhaité. »

Il fit une pause qui laissa le temps à Astryl de tourner sa tête pour regarder cet homme.

« Tu sais de quoi je parle Astryl. Tu l'as vécu. »

Astryl n'écoutait plus l'étranger. Il était dérangé par un son étrange, comme une corde qui résonne sans s'étouffer.
« Qui êtes vous ? »

« Cela importe peu. La clé c'est toi Astryl, c'est ce dieu que tu implores. Tu lui demandes de te sauver, tu l'appelles ton guide, mais l'a tu seulement suivi ? Il te montre une voie que tu ne veux pas voir. Les signes n'ont jamais été aussi fort et toi tu les ignores. Tu t'aveugles dans ton arrogance : tu te proclames comme son admirateur mais tu échoues à vouloir le prier nuit et jour. »

« Mais que voulez-vous ! » cria Astryl, assourdit par le vacarme dans sa tête. Le voyageur fit quelque pas vers l'autel central, laissant Astryl derrière lui. Le son s'était brutalement arrêté.

« Je veux que tu trouves ce qui t'as été enlevé dès ta naissance. Va au monde du dessus et prouve ta valeur. Devient un élu. »

Astryl regarda la porte qui venait de s'ouvrir. Quand il se retourna, l'homme n'était plus là.

Pour Astryl, un nouveau monde venait d'émerger. Il découvrit l'existence d'Adiryl, des anges, et au contraire, qu'aucun dieu du solstice n'avait existé. Il comprit peu à peu les paroles de cet homme.






Astryl, par la profondeur de son affliction, acquit une place chez les anges. Les Élus sont destinés à être supérieur à l'homme et pourtant ils ont dans leurs gènes cette infériorité dû au fait qu'ils n'ont pas la noblesse de sang d'un séraphin. Ils sont enfermés dans ce paradoxe qui les présente comme élus des humains mais parvenus aux anges. Cependant, dans ce milieu hiérarchisé, la volonté de puissance est plus forte que l'isolement des espèces et les affinités ignorent les personnes au profit de leur importance. Grâce à ce jeu de cour, Astryl fut remarqué pour ces idées novatrices dans les cercles du pouvoir. Il entra à l'école de Magie et obtint son titre d'Archimage au bout de vingt ans. Il prit le nom de Panasdür, qui signifie maitrise du destin. On lui confia le département de recherche sur la magie de l'esprit, très peu populaire, il avait été délaissé pour son manque de créativité. Il publia de grandes documentations et des théories sur cette magie qui furent oubliées et perdues au fond de la grande bibliothèque impériale. Grâce à son titre, il s'intéressa à la politique du royaume et devint pendant une décennie un grand conseiller de sa majesté l'empereur.

« Monseigneur, cette nouvelle armée sera le bras armé de votre royaume. Ce sera une arme de dissuasion. Les peuples se soumettront à ces guerriers, mais pas à cause de la peur. Ils verront à travers ce corps céleste le sublime de son dirigeant et la loyauté qu'ils lui doivent. La légion ne doit pas tuer, elle doit libérer. »

Comment ne pas être séduit par ce discours ? L'idée était claire, mettre en place un bataillon composé de guerriers sur-entrainés pour faire régner l'empereur sur les terres de Feleth, dans la paix. Astryl avait enfin compris que son destin était lié à Feleth, que son devoir était de trouver une entente entre ces deux mondes.






Cela faisait longtemps, trop longtemps que l'empereur ne le recevait plus. Il n'avait plus aucun pouvoir dans ce monde. La déchéance avait commencé avec la prise de poste de Querel Sentencia, un séraphin déroutant par ses qualités intellectuelles qu'il mettait au service d'un zèle sans limite pour des valeurs nobles.

« Mais sire, cet homme ne respecte pas l'éthique et le code de cette armée ! Ses objectifs détournent la légion de sa première fonction qui est d'étendre votre pouvoir. Il tue, il détruit, rien ne saurait l'arrêter ! »

« Il est mon meilleur guerrier »

Il avait perdu son influence, et les autres conseillers se détachaient de lui, de peur de chuter de même. Il ne lui restait plus que la magie. Et pour cause, Atsryl n'avait que deux solutions. Il devait soit retrouver un soutien parmi les anges les plus puissant de l'empire, ou devenir le guide d'un monarque, le prophète d'un peuple. Son destin le lui rappelait, il venait de Feleth.