Quelques heures plus tôt, Harken finissait de se préparer pour l'entretien avec le roi.
Bien que rien ne semblait transparaître sur son visage de marbre, il était serein à l'idée de le rencontrer de nouveau. Ce roi qui avait pris partie pour lui, qui l'avait engagé car il voyait en lui un bien meilleur porteur de volonté divine qu'aucun des reclus de la cathédrale du Solstice. Dieu était véritablement omniprésent dans sa vie, pensait-il.
Il finit d'enrouler sa toge aux broderies d'or et d'argent autour de son épaisse armure, la cape blanche qu'il reçut quelques jours auparavant retomba harmonieusement avec les plis de sa toge dans son dos. Il approcha sa main d'acier vers le perchoir de Menaroth et l'invita à venir prendre place sur son épaule.
L'oiseau s'exécuta dans un croassement de satisfaction. Les longues plumes de sa queue descendirent en une cascade de flammes le long d'Harken. Il était prêt à faire régner la justice de Dieu !

Il saisit entre ses mains gantées un épais volume relié de cuir craquelé par le temps et se mit en faire en marmonnant les prières qu'il lisait :


Il arrêta sa marche et ferma son livre qu'il rangea en fixant d'un œil sévère ce qui lui barrait la route. C'était un chaton des rues, affamé, le regardant avec de grands yeux ronds. Un miaulement aiguë, presque inaudible accompagnait son air désespéré.
Harken le toisa du regard. Les deux se fixaient avec intensité au milieu d'une ruelle commerçante encore peu active à cette heure de la matinée.
Soudain, le petit chat repéra un bout de toge pendouillant à hauteur de mollet d'Harken. Il s’aplatit au sol, remua les fesses et s'élança contre le morceau de tissu qui le narguait de tout son pendouillement.
Les traits d'Harken devinrent durs, ses sourcils se froncèrent et tous les muscles de son visage se crispèrent dans une expression de colère et d'indignation profonde. Il avança sa main de métal vers le chat qui s'était avachi sur sa botte de plaque après avoir raté son vaillant assaut.
Le paladin attrapa l'animal par la peau du dos et le souleva jusqu'à hauteur des yeux.

- Petite créature du Seigneur, sa Volonté est indiscutable et je vais devoir l'accomplir en tant que fervent défenseur du divin...

Il posa le chaton dans la paume de son autre main et marcha jusqu'à un étalage qu'un marchand se pressait de dresser. Il déposa l'animal à ses pieds et plaqua sa main sur le bois de l'étalage dans un bruit sec afin d'obtenir l'attention du vendeur.
Ce dernier sursauta, se retourna et, voyant l'homme armuré arborant un immense oiseau de flammes et la cape blanche des guerriers du roi, il devint livide et bredouilla quelques paroles de politesse houleuses.

- Monsieur, je ne me risquerai pas à mettre en doute la ferveur de votre foi. Vous connaissez vos sermons ? Si je vous dis qu'un enfant du Seigneur est dans le besoin...

Harken enfonçait son regard sévère dans celui du pauvre commerçant apeuré qui tentait de calmer son agitation pour répondre de façon audible :

- A-a-alors tu te dois de lui venir en aide, c-car votre foi est commune et qu'il est ton frère aux yeux du Tout-Puissant... Je-je vous en prie messire...

Harken se redressa, son air grave toujours placardé sur son visage. Il ignorait complètement les implorations de l'homme et continua :

- Alors vous n'avez rien contre le fait de venir en aide à votre prochain, en bon pratiquant que vous êtes, monsieur ?

Le ton d'Harken se faisait plus insistant, déstabilisant davantage son interlocuteur qui ne comprenait pas pourquoi il en avait après lui.

- O-o-oui... Tout ce que vous... euh... le Tout-Puissant voudra, j-je suis son humble serviteur...

Le paladin inspira profondément, toisant l'homme du regard. Il reprit un air un peu moins sévère et, avançant une main vers un poisson, il dit :

- Dans ce cas, vous ne voyez aucun inconvénient à ce que je prenne ce poisson ?

Il n'attendit pas que le marchant réponde, saisissant l'animal flasque. Sa question était prononcé sur un air si tranchant qu'elle en devenait presque une affirmation.
L'homme le regarda faire, serrant les dents en espérant que cela suffirait à le faire s'en aller sans rien lui demander d'autres.
L'homme de foi broya la chair du poisson et l'effrita pour faire tomber des petits morceaux devant le chat. Il reposa le reste de viande aux surplus d’arêtes, la tête, la queue et la colonne vertébrale de l'animal écailleux sur la devanture de l'étale du poissonnier.
Il s'accroupit finalement et caressa le félin qui se délectait des morceaux qu'Harken avait fait tomber devant lui. Il le caressa, puis se releva et, jetant un dernier regard sévère au marchand, s'en retourna à sa lecture, vers le palais du roi au plus grand soulagement du poissonnier qui ne se doutait pas qu'il ne serait pas la seule cape blanche qui lui rendrait visite ce matin.

Après une bonne heure de marche, il arriva devant la porte de la salle de réception dans laquelle le roi lui avait donné rendez-vous. Il entra avec le salut des gardes et s'inclina devant le roi. Menaroth battit des ailes pour garder l'équilibre pendant la révérence.
Kaull l’accueillit avec son éternel faux sourire, restant assis sur son trône. Il l'invita à se redresser et poursuivit d'une voix satisfaite de cette réunion.

- Harken ! Haha, t'as ponctualité est digne de la rigueur de ton culte ! Nous allons attendre le dernier invité et nous pourrons commencer à parler du pourquoi de cette entrevue.

Un temps infiniment longue pendant lequel Harken resta droit face à roi passa avant l'arrivée de la personne qu'ils attendaient. Un individu étrange aux manières très différentes de celles du paladin, plutôt jeune mais arborant lui aussi la cape immaculée des guerriers royaux.
Kaull annonça son entrée avec une pointe d'ironie cinglante à laquelle l'homme ne sembla même pas saisir la nuance.
Harken le salua brièvement et se retourna vers le roi, impatient de savoir de quoi il en retournait. Malgré qu'il ne le regardait plus, il sentait les yeux de ce dénommé Xerian sur lui ou sur Menaroth, les dévisageant d'une curiosité assez mal placé.

Le roi entama alors le sujet pour lequel les deux capes blanches avaient été réunies en ce jour :

- Xerian Mhord, l’intègre, voilà maintenant deux semaines que tu agis en solitaire. Je viens de nommer cet homme à ta gauche, je viens de lui décerner le titre de Cape Blanche. Harken Holytears, le diplomate. Je pense que tous les deux vous pourriez collaborer.

Harken était déchiré entre deux sentiments très forts à ce moment même de cet échange avec le Roi. Le premier était l’étrangeté de la scène et le sang-froid qu’arrivait à conserver Kaull. Le second était la stupéfaction devant l’impressionnante débilité de ce qui semblait être son futur camarade de mission.
Pendant que ce Xerian s’agitait dans tous les sens pour des raisons et d’autres auxquelles le paladin ne faisait nullement attention, il se concentrait pour garder un air impassible, la silhouette droite et le regard lointain. Mais l’envie d’abattre son marteau sur la face de cet énergumène le démangeait. Cependant, il était cape blanche également et il se devait de respecter la volonté du Roi de l’avoir pris sous ses ordres directs. Il se retint ainsi et pose lentement son regard sur le phénomène de foire qui s’était replacé à côté de lui. Il vit qu’il le regardait déjà avec, dans les yeux, toute l’intelligence qu’on aurait pu trouver chez une moule paralytique. Mais cela ne l’énerva pas davantage. Il avait beau l’air d’être son opposé de valeurs éthiques et morales, ils avaient l’air d’avoir quelque chose en commun. Le Roi l’avait sûrement remarqué et c’était peut-être pour cette raison qu’il insistait pour qu’ils fassent équipe.

- On va bien se marrer !

A cette phrase, il se surprit à esquisser un sourire en coin. Il n’y avait rien de drôle. Il s’engageait sur une galère infernal à travailler aux côtés d’un demeuré et il souriait… Harken tenta de se ressaisir et pose un genou à terre devant le Roi, se tenant à son lourd marteau posé droit devant lui.

- Qu’il en soit ainsi Seigneur Kaull, je me ferai un… plaisir… de travailler avec cet homme qui semble faire honneur à votre confiance !

Il n’osa pas tourner le regard vers le dit individu de peur de voir s’effondrer son propre argumentaire. Il respira profondément et continua :

- Quelle sera notre première mission, Sir ?

Il avait beau ne pas regarder son compagnon, il sentait malgré tout son regard empli de curiosité sur lui ou sur son phoenix, il n’en savait rien. Il semblait tellement imprévisible que même l’idée qu’il soit obnubilé par une poussière voletant entre lui et le paladin était plausible aux yeux d’Harken. Il sentait également l’agacement de Kaull qui pouvait juger de la différence du terme « protocole » qu’il y avait entre les deux capes blanches.
Décidant de ne plus faire cas de Xerian, le Roi repartit sur le sujet qui les avait amenés à cette « réunion ».

- La mission est des plus simples et sera une routine pour Xerian et une excellente première tâche pour toi, en plus de pouvoir jauger votre capacité à collaborer tous deux.
J’aimerai que vous mettiez fin aux agissements d’un groupe isolé dans une partie souterraine des quartiers sud de Madorass. Mes espions m’ont rapporté des comportements suspects, largement répréhensible par la peine capitale alors… faites passer le message ! Ne me décevez pas.

A ces mots, il agita sa main en signe de clôture de la discussion. La mission avait été donnée, il n’avait plus qu’à la mener à bien. Simple ? Il verrait bien. Il n’était pas encore familier avec le travail de cape blanche et, même s’il allait falloir apprendre avec le pire de tous, il n’avait pas le choix.
Il se releva donc, fit une gracieuse révérence malgré l’imposante armure qu’il arborait et s’en alla vers la sortie de la salle, son phoenix se soulevant à chacun de ses pas lourds. Les gardes lui ouvrir la porte et s’écartèrent de lui, sûrement de peur que l’oiseau n’enflamme quelque chose au passage.
Il continua d’avancer, le regard fixe devant lui et l’expression aussi rude qu’habituellement. Il attendait que Xerian le rattrape afin de parler d’un quelconque plan ou autre manœuvre à déterminer avant de passer à l’action. Car il sentait encore son regard derrière lui mais se disait qu’il n’obtiendrait rien de lui en le forçant à rester concentré. Il attendait donc que la curiosité de l’individu prenne le dessus pour qu’ils entament la conversation. Il n’aurait pas la patience de son Roi ou, tout du moins, c’est ce qu’il se disait.