Froide, hostile, inhospitalière. Voilà les mots qui qualifient parfaitement cette jungle puant, suintant l'angoisse et la névrose psychotique.

C'est dans un excès de folie passagère, qu'Agnor se jeta tête la première dans ce gourbi sans nom, invraisemblable de plantes et autres arbres exotiques. Un endroit, peu familier pour un Orc, il faut l'avouer, habitué aux plaines, aux forêts un peu plus... Classiques, et aux montagnes basses. Le voici en pleine région presque tropicale, un lieu qu'il ne pourrait décrire, à mi-chemin entre le "Chiant" et le rhumatisme qu'ont les vieux Orcs passés les centaines d'années. Cet endroit lui évoque la peine, la douleur, l'insécurité permanente et surtout... L'arthrite du genou. Oui, en effet, l'endroit est humide à souhait on se croirait dans... Dans... oui, vous savez bien de quoi je parle. On se croirait en plein automne. (A quoi tu pensais, hein ? Espèce de vicieux.)

C'est donc dans cet esprit là que l'Orc s'enfonça dans cette jungle hostile, qui n'avait du que rarement voir la trogne d'un Peau-Verte prêt à casser du péon, de l'humain et à raser ses feuilles si elle venait à lui marcher sur ses godillots avec ses racines poisseuses.
Agnor avançait, inlassablement. Il ne savait pas où il allait. L'orc errait depuis longtemps. Bien trop longtemps. Son esprit lui jouait des tours. Ayant perdu tout ce qui lui était cher, ayant perdu tout ce qui lui appartenait, ayant perdu les siens, ceux des autres, ses connaissances, ses frères, sa famille, son honneur et sa peigne en poil du buffle... L'orc n'était pas content. Mais avant tout, il était désorienté. Et assoiffé. De toute façon, c'est vraiment mal foutu ce tas de plantes et de saloperies vertes, ça dégouline de flottes, ça envahit l'air, mais y'a pas un point d'eau potable. La Nature se moque vraiment du monde. Agnor songeait, parfois, à lui ravager la tronche à grand coup de latte, pour peu qu'il la rencontre au tournant d'une ruelle.

"Et que v'là pour les forêts, grosse greluche ascensionnelle." Voici le genre de propos que tiendrai notre ami sauvage. "Et ça c'est pour les p'tiots enfants Orcs. Et ça c'est pour moi parce que t'es qu'une espèce de grosse vache..." L'orc commençait à s'emporter. "ET QUE J'T'Y REPRENNE PLUS A FAIRE DE LA..." Beugla-t-il comme un dément en alternant des coups de lattes et de lames dans la faune alentour. "J'VAIS T'EN DONNER MOI D'LA NATURE !"

Puis il se calma.

Encore une crise de folie passagère, qu'il faudrait très rapidement oublier. Désorienté, presque étonné lui-même. Il regarda autour de lui, ne vit personne, rangea son arme discrètement. Il aurait pu s'excuser de s'être emporter mais... mais non. De toute façon, c'était rien qu'une bouffeuse de laitue et elle avait qu'à pas pondre des arbres. Aussi, en y songeant, il cracha même sur les racines qu'il venait de tailler amoureusement.
Dans un élan de gratitude légendaire, l'orc donna même un grand coup de botte dans une branche, l'envoyant valser à plusieurs mètres.

Agnor se stoppa net. Il s'était alors perdu. Égaré. Il ne savait plus d'où il venait. Mais surtout, il entendit un bruit. Des pas, sans doute, ou une branche. Quelque chose de lourd. Un animal, une bête, un monstre. Un humain ? Un trappeur peut-être ? Son ouïe ne lui faisait que rarement défaut. Aussi, dans le doute, il reprit son chemin. Si la créature était humanoïde, elle reprendrait sa route dans quelques instants. L'intensité du bruit était signe qu'on le suivait ou non. Si il s'agit d'un animal, il se ruera sur lui, ou en profitera pour fuir. Dans tous les cas, l'orc était prêt à dégainer, ses réflexes l'accompagnaient dans chacun de ses voyages.

Dans ses élans de démence, l'orc reprit une pause. Décidément, cette journée ne mettait pas en valeur ses capacités de marche, ni son endurance habituelle. Son sang lui-même le brûlait. L'orc était sans cesse consumé par un mal qui lui était inconnu. Une violente migraine le prenait, sa tête lui jouait des tours, comme si on le frappait à coup de masse sur le crâne.
Agnor ne se faisait aucune illusion. Les siens étaient tous morts. Comme si une malédiction planait sur la secte à laquelle il appartenait prenait un malin plaisir à s'être acharnée sur eux. Toujours est-il, qu'Agnor le savait. Il savait qu'en tant que membre de la Secte du Krân, il mourait un jour. Un jour prochain. Bientôt. D'une maladie, de la main d'un Homme. Peu importe, Agnor le casseur de crânes, allait décéder, de manière sale, de manière impure, il allait baigner dans son sang, souffrir, et disparaître, comme un animal. Toujours, il avait vécu ainsi, depuis son enfance, Agnor était mort. L'orc a disparu, le même jour que ses parents, dans un incendie. Depuis ce jour, tout n'est que du rabe, tout n'est qu'une tourmente qui le suit, qui le condamne à vivre dans un monde qui ne semble pas vouloir de lui.

A cet instant précis, Agnor se retourna. Il avait senti quelque chose... On s'approchait...

Aikanaro aimait se promenait au sein de la jungle verdoyante. C'était un lieu unique de diversité florale et d'une humidité on ne peut plus agréable pour un Syrinx. La densité de la nature environnante ne poser aucun problème au démon, car chaque plante s'écartait pour le laisser traverser aisément. De nombreuses fleurs poussaient sur les traces du prince Syrinx, signe distinctif du plaisir qui l'habitait.
Soudain, il entendit gueuler au loin. Il ne put distinguer des paroles, même s'il y en avait eu, étant trop éloigné et entouré d'une intense isolation naturelle. Cependant, ce fut des cris bestiaux et certainement agressif. L'albinos passa d'abord à une bête sauvage peu accoutumé à cet environnement pour le moins hostile pour qui ne sait pas l'apprécier.
Il continua son chemin, ne prêtant plus attention à cette scène banale de la nature. A peine quelques minutes de marches passées, une forte odeur parvint aux narines d'Aikanaro. Ce dernier se retint de déglutir de surprise. La puanteur était incomparable. Il n'avait jamais connu de fleurs ou de plantes puer autant! Certes il y avait l'amanite phalloïde qui dégageait une odeur pestilentielle pour attirer volontairement les mouches, ou encore le satyre puant dont les effluves cadavériques trompaient souvent les charognards affamés. Mais cette odeur... non, ce n'était pas une plante. Pas assez raffiné, pas assez subtile, car même les champignons les plus abominablement odorant possédaient de nombreuses nuances sucrées et complexes.
N'attendant pas une nouvelle vague de nausée, le Syrinx fit pousser quelques fleurs à l'odeur plus attrayante, près de son nez. Il était plié en deux à cause de l’agression nasale si soudaine.
Une fois remit sur pied, il continua sa route en espérant sortir de la zone "rouge" le plus vite possible. Il marcha donc droit devant lui, accompagné par le parfum de ses gracieuses fleurs.
C'est au détour d'un énorme arbre qu'il aperçut une chose. Verte, hideuse, repoussante, suintant la sueur et la crasse, grognant et ronflant comme un animal essoufflé. Il se trouvait nez à nez avec la bête d'apparence humaine mais possédant sur son visage tous les attributs de la bestialité. L'odeur ne pouvait provenir que de lui car l'albinos ne rencontra jamais de créature comparable et leur laideur l'aurait assurément marqué. Il ne savait plus trop quoi faire, s'il fallait attaquer pour mettre fin à cette existence contre-nature par essence (et surtout par odeur) ou seulement prévoir une défense en attendant une quelconque réaction de la part de l'être? De toutes évidences, il avait l'avantage en ces lieux, mais il fallait aussi tenir compte du fait qu'il ne pourrait pas supporter l'odeur indéfiniment. Il plongea alors son regard cramoisi dans celui de la chose qui lui faisait face, espérant au moins trouver un brin d'intelligence à l'intérieur d'un corps autant rejeté par la nature pourtant habituellement clémente avec ce genre d'espèce.
Un lourd silence s'installa, les deux êtres se scrutèrent pendant de longues minutes qui paraissaient être une éternité pour le prince Syrinx. Finalement, Aikanaro eut une idée brillante, il fit pousser une quantité considérable de fleurs sur l'immonde homme vert afin d'essayer de couvrir un temps soit peu les effluves puantes. Seule tête dépassait de l’amas florale que constituait la création du démon.
Il toussa fébrilement, se préparant à engager la conversation avec la bête repoussante:

- "Hum... Me comprenez-vous si je vous parle... Monsieur?", l'albinos se sentait un peu ridicule car il avait de sérieux doute sur les capacités intellectuelles de éventuel interlocuteur.