Les plateaux de lune sont agités. La peur du noir n’atteint plus seulement les hommes et le voyageur imprudent, elle enserre aussi, depuis près d’un mois, le cœur des vampires. Eux qui régnaient sur les plateaux, se cachent dès à présent. Car un fléau s’abat sur leurs petites communautés. Un fléau rouge, rouge comme le sang. Un fléau qui se dit divin, un fléau qui annonce l’arrivée d’un âge de mort pour ceux qui s’opposent à lui. Les grandes cabbales et les plus importantes sectes ne le reconnaissent pas, cependant. Les petites communautés éclatent, et leur population rejoint l’un ou l’autre camp, des autorités ancestrales à ce fléau à qui rien ne semble résister.
Et les cabbales et les sectes ne s’inquiètent pas vraiment de ce fléau. Ils ont, dans leurs rangs, des êtres bien plus puissants que la moyenne, qui affirment qu’ils seraient capables d’en faire autant. Ils ont, sous leurs ordres, bien plus de vampires que celui qui se prétend un Dieu. Ils ont, aussi, tout l’attirail qui assoit leur autorité, des livres « saints » aux rituels hermétiques, des promesses de carnage à la possibilité, d’un mot, de donner corps à ces promesses.

Mais moi aussi, j’ai ces outils sous la main.

Je suis toujours sur mon trône, que j’ai moi-même reformé avec du sang cristallisé : ce n’est pas ce qu’il y a de plus confortable, mais c’est un symbole. Et toute religion s’appuie sur des symboles. Les dix patriciens rouges forment un cercle autour de l’autel, chacun assis sur une chaise au haut dossier, leurs armes posées devant eux sur ledit autel. Derrière eux, répartis sur trois rangs de cinq personnes chacun, les quinze prélats de l’acier carmin, ma force de frappe la plus efficace. Et à mes pieds, agenouillé et la tête baissée, un vampire qui servait d’éclaireur et de messager.

Uridan – Et bien, vas-tu rester ainsi longtemps ? Tu es là pour apporter des nouvelles, alors livre-les !

Vampire messager – Oui Seigneur. La petite secte du plateau est s’est dissoute avant l’arrivée de nos troupes. Une demi-douzaine de vampires nous attendaient pour nous rejoindre, ce qui correspond à un cinquième des leurs. La famille des Zonly a refusé de nous rejoindre, et s’est portée sous la protection de la Cabbale du Glaive Rouge. La famille Reyleight, elle, nous rejoint de bon cœur, et offre la moitié de ses rentes pour preuve de sa foi. N’étant pas des combattants de fait, ils demandent humblement à leur Dieu de bien vouloir leur permettre de le soutenir autrement que par les armes. Nous n’avons pas de nouvelles du petit contingent envoyé pour parlementer auprès de la secte des Sanguins.

La Cabbale du Glaive Rouge est un de ces groupes qui sont encore trop importants pour que je songe à les attaquer de front. Trop nombreux, ils entraîneraient trop de pertes dans mon camp, voir risqueraient de me mettre en déroute. Or, un Dieu ne peut être mis en déroute. Tous ce que je construisais pouvait tomber à chaque faux pas, et depuis un mois que je commençai à étendre mon influence, j’avais l’impression de marcher sur des œufs. La secte des Sanguins n’est pas de ceux-là, mais elle est assez importante pour que je veuille l’intégrer sans avoir à les détruire. Mais visiblement ils en ont décidé autrement.

Uridan – Soit. Que les Prélats de l’Acier Carmin portent ma parole aux Sanguins. Quand aux patriciens rouges, je veux qu’ils aillent chez les Reyleight, et leur signifie qu’ils sont attendus ici malgré tout, quelques soient leurs intentions : je statuerai sur leur sort à ce moment. Et faites en sorte que les fidèles qui viennent de la secte du plateau de l’est se présentent également devant moi dans les plus brefs délais. Disposez.

J’ouvris deux correspondances, une qui donnait sur le manoir des Reyleigth, l’autre dans un lieu discret aux alentours du basement des Sanguins. Chacun partis par là où je l’avais envoyé, sauf le messager qui, lui, repartit de façon plus conventionnelle, par la porte. Elle se ferma derrière lui, dans un claquement sec qui sonnait comme une sentence, résonnant longtemps entre les murs de la grande pièce désormais vide. Je soupirai longuement.

Il y avait plus de groupes de vampires que je ne l’aurais cru. Et surtout, les plus importants se révélaient un bien plus grand problème que je ne l’avais pensé. J’avais réussis à entrer en contact avec mes parents, après m’être assuré qu’ils ne s’étaient pas mêlés à ces sectes que j’allais traquer. Si ma mère avait eut l’air amusée de mes projets, et m’avait assurée de son soutien, mon père lui avait fait la moue. Mais comme d’habitude, il finirait par se ranger à l’avis de ma mère. Je ne leur avais pas demandé de faire partie de mes fidèles, bien entendu ; Mais nous nous étions arrangés pour qu’ils ne me causent pas de tort par inadvertance.
Peut-être même pourrions-nous nous arranger pour qu’ils me servent d’yeux et d’oreilles.

La première rébellion se prépare, dans l’ombre. Les quinze prélats de l’Acier Carmin sont forts, mais finiront par rejoindre les rangs des Sanguins. Une trahison qui, si elle signe leur arrêt de mort, va mobiliser toute l’attention de notre nouveau dieu. Mais, alors qu’il mènera l’expédition punitive, Uridan sera confronté à une surprise. Une surprise aussi rouge que le sang qui va couler.

le combat fait rage. Les traîtres avaient été les premiers à tomber sous les coups de la créature. Leurs corps brisés gisaient ça et là, témoins de la violence du combat. Mais tout cela n'était pas finit. En fait, il restait encore deux belligérants, les autres ayant fuit ou étant morts. L'un des combattants arborait des motifs torturés sur sa peau, aussi rouges que le sang. Ses yeux montraient une pupille rouge orangée, et le blanc de l’œil était noir. L'autre semblait plus normal, si ce n'est la paire proéminente de canines qui saillait de sa mâchoire supérieure. les deux adversaires luttaient sabre contre hache, et encore une fois le premier arborait un outil étrange, qui semblait par sa couleur et sa forme être un grand croc allongé et aiguisé, alors que le second tenait une hache à double tranchant certes massive, mais visiblement en bon vieil acier.

Mais ce qui rendait la confrontation particulièrement spectaculaire, ce n'était pas le talent de bretteur de chacun des combattant, bien qu'ils soient tous deux remarquables pour ce qui était de manipuler leur arme. Mais c'est bien le tourbillon de sang qui les entourait, comme pour isoler le monde de leur colère. Parfois, le tourbillon se distordait, une sorte de lame saillant vers la tête ou le torse d'un des belligérants, mais jamais ne l'atteignait, comme renvoyée avec force au centre du maelström carmin.

Oh ça oui, le combat faisait rage. Ce vampire avait une emprise incroyable sur le sang. Je n'aurais jamais cru croiser quelqu'un ayant un tel pouvoir sur ma route, du moins pas aussi développé. La pression exercée sur le liquide, et la concentration nécessaire à la joute armée, m'empêchaient même de faire appel au sang invoqué, qui pourtant ne serait sûrement pas sensible au pouvoir de mon ennemi. Tout avait commencé il y a une semaine.

J'avais envoyé mes 15 meilleurs éléments à l'assaut de ce lieu, en guise de réprimande pour ne pas m'avoir rejoint. Une partie des membres de cette secte s'étaient enfuis à ce moment, et une partie avait succombé sous les coups de mes émissaires. Cependant, l'intervention du maître d'arme de la secte avait mis un terme à l'assaut. Ses capacités, presque semblables aux miennes, avaient semé la graine du doute dans l'esprit de mes hommes, et finalement ils avaient rejoins les rangs de mes ennemis.

Bien entendu, je ne pouvais pas laisser les choses ainsi. Accompagné de quelques membres de confiance de mon culte, j'avais décidé de prendre moi-même ces vampires d'assaut. L'entrée en matière avait été violente, et très vite les traîtres, ainsi que mes alliés, étaient tombés sous les coups de lame et les éclairs de pouvoirs. C'est alors que je m'étais trouvé face à lui.

Nos capacités étaient similaires, et autour de chacun de nous se répandait le carnage. Les quelques survivants n'avaient trouvé le salut que dans la fuite. Dans l'absolu, j'avais réussis à dissoudre une autre des sectes qui m'avaient résisté, même si il ne s'agissait pas de la plus puissante. Toutefois, je ne pouvais laisser ainsi repartir un être qui avait pu me tenir tête. Sa survie mettait en péril tout ce que je m'étais efforcé de construire. Mais les choses étant ce qu'elles étaient, cette mascarade risquait de s'éterniser. Je décidai donc de tenter le tout pour le tout.

Je relâchais mon emprise sur le sang qui nous entourait, utilisant le pouvoir du Marchemonde pour mettre mon corps en stase. Je fus transpercé par plusieurs lances de sang, mais mon corps était suspendu entre la vie et la mort, et malgré la douleur je réussis à maintenir la sort. Faisant appel au sang invoqué, et profitant de l'étonnement de mon adversaire à me voir encore en vie, je lui injectais une dose massive du liquide carmin toxique. Rapidement, les effets néfaste de la substance se manifestèrent, et je profitais d'un soubresaut pour glisser la lame de mon sabre le long de sa gorge, tranchant proprement sa tête. Tout le sang retomba au sol dans une parodie de pluie. Je renvoyais rapidement le sang invoqué, avant de boire goulûment celui qui se trouvait autour de moi.

Grâce à mes propres pouvoirs, chaque gorgée régénérait un peu plus mon corps. Bientôt l'enchantement de non-vie parvint à son terme, et la douleur fut telle que je manquais m'évanouir. Mais il y avait le sang de plusieurs dizaines de personnes près de moi, et surmontant la douleur je réussis à me régénérer avant que mon corps ne me lâche. Épuisé, haletant, je me traînait jusque dans le bâtiment principal qui servait de base à la secte détruite, et une fois ici seulement, me laissais doucement glisser dans l'inconscience.

Lorsque je rouvris les yeux, il faisait nuit noire. Étais-je resté inconscient une heure, une journée, une semaine ? Dans tous les cas, je me sentais encore faible, et la douleur restait vive là où les lances de sang m'avaient transpercé, alors même qu'aucune cicatrice n'était encore visible. J'avais eu de la chance qu'autant d'êtres soient morts près du lieu du combat, sans quoi je serais sans doute en train de gésir auprès de ce vampire. J'étais encore trop affaiblis pour pouvoir me présenter devant mes disciples : je décidai donc de me rendre à l'Arcane pour quelques jours, le temps de refaire mes forces. Je faisait confiance aux patriciens pour gérer le culte en mon absence, car ce n'était pas la première fois que je m'absentais. Ouvrant une nouvelle brèche dans l'espace, je la traversais avec bien moins de prestance qu'à mon habitude.

Le monstre des plateaux a remporté une nouvelle victoire, mais il a faillit le payer au prix fort. Après ce combat titanesque, Uridan commence à entrevoir à quel point son entreprise est hasardeuse et fragile. Dans trois jours, les fidèles de son culte verront revenir un Dieu du Sang plus ombrageux, presque préoccupé.Toutefois, la volonté de s'imposer dans les Plateaux de lune ne faiblit pas dans l'esprit du vampire-démon, qui dès lors se décide à chercher d'autres sources de pouvoirs. C'est d'une façon tout à fait inattendue qu'il y parviendra, mais ceci viendra plus tard.